Asexuelle

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Je n'ai toujours pas envie.

Qu'ils sont douloureux ces mots. Je ne pensais pas qu'un jour ne pas avoir envie de quelque chose pourrait autant me préoccuper.

Assise depuis deux heures sur cet appui de fenêtre, je me prépare à enfin faire ce que j'aurais dû faire il y a bien longtemps. Tout au début en fait.

Le thé froid dans ma tasse a une saveur amère. Pourtant c'est le même qu'hier, et avant-hier, et la semaine dernière. Dégoûtée, je repose le breuvage par terre et dirige mon regard vers le jardin en me mordant la lèvre. Je n'attends rien, je sais que ça va se terminer, et pourtant j'ai peur. Ou peut-être que je suis déjà triste.

Je pensais qu'avec le temps, je pourrais peut-être changer. Que je finirais par être curieuse, ou même envieuse de ces sensations qu'elle me décrivait parfois. J'ai essayé de me forcer, pour lui faire plaisir, mais toujours aussi attentive, elle s'en est rendue compte sur le champ et m'a presque engueulée. Selon elle, une première fois, ça doit se faire quand on se sent prêt, et même toutes les fois d'après, le consentement ne suffit pas. Il faut aussi l'envie.

Après cet énième essai foireux, je lui avais silencieusement tourné le dos et m'étais roulée en boule. Une question avait alors jailli dans mon esprit.

« Et si je n'ai jamais envie ? »

Ça ne m'avait pas fait peur. Je n'avais jamais considéré le sexe attirant, et encore moins indispensable. Seulement, j'étais certaine que si je lui faisais part de mes interrogations, elle me quitterait. Elle aime le sexe et ne l'a jamais caché même si parfois elle aurait dû -balancer en plein amphi qu'elle en avait ras-le-cul de ces tabous de merde n'était pas très diplomate.

Je soupire de nouveau en me demandant si je ne peux pas lui dire une autre fois. J'ai la certitude qu'elle ne voudra plus de moi, sauf que moi je veux d'elle. Je veux ses mains sur ma taille, ses lèvres sur les miennes, son front sur mon épaule. Je veux ses grognements le matin, ses bâillements le soir, son rire toute la journée.

Je l'aime.

Et elle mérite la vérité.

Elle a le droit de savoir que je n'aurai probablement jamais envie.

Je refoule une larme en entendant le bruit de la porte d'entrée. Un « salut » jovial parvient à mes oreilles, auquel je réponds doucement. Ses pas précipités se rapprochent et elle balance sans cérémonie son manteau sur la table.

« Ça va ? »

« Oui. J'ai quelque chose à te dire. »

« Je t'écoute. »

Mon cœur se serre à la mine attentive qu'elle arbore. Elle se laisse tomber à genoux près de moi, comme si elle allait me demander en mariage. Ironique puisqu'elle va sûrement me larguer d'ici la semaine prochaine.

Je baisse les yeux. Je ne veux pas. Je devrais me taire.

Les mots s'envolent malgré moi.

« Je n'aurai jamais envie de faire l'amour. »

Merde.

L'océan de pensées sombres qui me taraudait s'écoule doucement de mes yeux. Je ne pensais pourtant pas être triste de cette asexualité. Je l'ai toujours bien vécue.

Puis je me rends compte que ce n'est pas ça qui me chagrine. C'est la certitude de ma solitude quand elle aura décidé de m'abandonner.

Elle s'installe plus confortablement.

« Hé. Il t'est arrivé quelque chose ? »

Sans comprendre, je relève la tête. Un « quoi » éraillé sort de ma bouche sous son regard inquiet. Elle semble choisir ses mots.

« Tu as été... abusée ? »

Oh. Elle pense qu'on m'a fait du mal. Que je ne peux pas juste « ne pas avoir envie ». Qu'il faut une raison derrière -une raison valable. Un sourire amer se dessine sur mon visage.

« Non. Je ne ressens aucune attirance pour ça. Il n'y a pas de raison. »

Plus qu'à attendre. Je vois d'ici ce qui va se passer. Elle va juste dire « ah », puis devenir distante, rentrer plus tard, partir plus tôt, jusqu'à ce qu'elle m'annonce que finalement, nous deux, c'était chouette mais ça ne marchera pas. Dans un mois elle aura retrouvé quelqu'un qui acceptera de baiser. Qui réclamera même.

Brusquement, elle se redresse sur ses genoux et se jette sur moi. Je suis enfermée dans une étreinte implacable, que j'aurai trouvé agréable si je ne venais pas de lui faire pareille confession et que je n'attendais pas qu'elle rompe. Sérieusement, qu'est-ce que c'est que cette réaction ?

Ses lèvres trouvent mon oreille et un soupir s'y engouffre.

« C'est pas grave alors. Tu m'as fait peur. »

J'écarquille les yeux, doutant de ce que j'ai entendu.

« Je t'aime. »

Ses paroles font leur chemin jusqu'à mon cerveau qui marche au ralenti. Lorsque je suis sûre d'en avoir bien compris le sens, mon corps entier se défait de la tension accumulée depuis des semaines, et mes bras enserrent délicatement son dos.

Je respire enfin.

J'avais faux sur toute la ligne.

Pas envie.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant