Les Roses de Danël

Chapitre I

J'ai choisi une terminale L pour échapper à la tragédie des théorèmes.

Ça n'empêche pas le fait que je sois assise depuis 50 minutes à faire semblant de m'interesser tant bien que mal au cours de Mathématique de l'exubérant Monsieur Lebois.

Ses chaussures de randonneur et ses polaires trop essorés contredisent la conviction qu'il a de la facilité des math :
des montagnes de problèmes que mes notes et moi n'arrivons pas à grimper.

Je pourrais me permettre de somnoler. Je suis douée dans toutes les autres matières.

Mais à défaut d'avoir la moyenne, toujours rechercher les encouragements : un titre honorifique sans trop de labeur.
La parade parfaite pour les cancres derrière qui restent plus préoccupés à chahuter sur la dernière photo osée de Manon sur Instagram que de s'assurer un semblant d'avenir.

_ Elle est vraiment chaude cette fille, expire Marc.

_ Putain, ça devrait être interdit d'être aussi canon ! Dit Antoine en se mordant la main.

Le téléphone continue sa tournée dans les mains de qui veut bien jouer les voyeurs et termine dans celles de Jimmy.

Cette brute épaisse s'adresse sans retenu à son acolyte Danël :

_ Hé, Dan !

_ Ouai quoi.

_ Mate un peu la pix de Manon.

_ Je suis concentré là, tu vois...

_ Oh lâche un peu tes dessins.
Regardes !
C'est lourd mec!
Elle a carrément mis tes initiales près de son push-up. Tu devrais lui laisser un commentaire.

_ Pas la peine.

_ Mec...

_ Tu m'emmerdes. Je lui ai déjà dit c'que j'pensais au moment où j'lai prise... en photo hier soir.

Danël détourne son regard sans émotion de Jimmy et à cette révélation, des paroles d'admirations s'élèvent dans tout le fond de la classe.
Certaines filles font la moue ; traitant Manon de pétasse, tout en voulant secrètement être à sa place.

C'est d'un ridicule.
Je n'arrive même pas à croire que je prête l'oreille à de si bas sujets.
Ce qui me plait au moins avec mon impopularité est le fait qu'on ne me manquera jamais de respect de la sorte.
Changer de mec comme on se démaquille, se dénuder sur les réseaux sociaux... Si je comprends que la beauté de Manon est enviable, sa façon d'en disposer m'échappe...
Je ne vois pas le but de faire autant de frasques quand on a déjà toute l'attention et mon caractère ne supporterait certainement pas ce genre de raillerie.

Grâce au ciel, les invitations au silence du professeur et la sonnerie me sortent progressivement de ces enfantillages.
Je peux enfin fuir ma calculette pour savourer la pause du midi avec Samantha.

Je me dirige avec hâte vers notre coin favori du grand préau.
Comme toujours, elle est impeccablement habillée et mâche un chewing-gum.
À son sourire, lorsqu'elle me voit arriver, je regrette encore que cette année nous ne soyons pas dans la même classe.
Nous sommes meilleures amies depuis la maternelle et nous n'avons jamais eu de dispute ; toujours d'accord sur les grandeslignes et nos rares différences n'ont jamais posé de problème. Si je devais finir ma vie avec un seul être sur cette terre, se serait elle sans hésitation.

Sam remet le col de mon manteau en place, je lui enlève un cil qui s'est perdu sur sa joue. Elle inspecte ma manucure, aucun ongle rongé par le stresse depuis 3 semaines. Je regarde son téléphone, aucun texto envoyé à Lucas depuis trois semaines. Une fois que chacune à terminer les inspectrices sur les objectifs à court terme imposés nous rions de bon coeur.