Opération "Sauver la Terre"

Et alors ? C'est ce que semblent me dire leur air hautain, leurs regards ennuyés, leur posture avachie sur les sièges, le tapotement discontinu de leurs doigts sur l'accoudoir, leur tête soutenue par leur bras, leurs yeux cherchant une quelconque distraction. Ils ne prêtent qu'une vague attention à mon discours empli de force et de désespoir.

Je continue de les sermonner :

- Réveillez-vous ! Il n'est pas trop tard pour sauver notre Terre ! Ne la laissons pas dépérir ! Elle nous offre de magnifiques choses, alors pourquoi la détruisons-nous ? Pourquoi refusons-nous ces cadeaux ? Les sources d'eau douce, les forêts, les plaines... Ce sont des présents dont nous devons profiter, et non les réduire en poussière, les uns après les autres. Tout ce qu'il faut, c'est s'adapter.

Je passe la parole à mon amie Evyla qui prend le relai. Aucun changement d'attitude, à part un léger sursaut pour certains, comme si on les dérangeait pendant leur sieste. Une fois passée la surprise suite à la voix fluette de l'oratrice, ils se replongent dans leur état semi-latent.

Je serre les poings. J'essaye de ne pas le montrer, mais je bouillonne intérieurement. N'en ont-ils donc rien à faire de souiller notre belle planète ? De la faire mourir ? De savoir que dans mille, cent ou dix ans, la Terre ne supportera plus d'être traitée ainsi ? Qu'elle subit chaque jour la bêtise humaine de ceux qui ne pensent qu'à s'enrichir pour gagner en pouvoir et en influence, par le pétrole, le matériel technologique, les centrales à charbon, toutes des choses que l'on croit nécessaires et qui ne font que détruire ce que nous avons mis des années à construire ?

Non, vraiment, je ne comprends pas. Pourquoi mes camarades ne veulent-ils pas entendre qu'un jour, notre planète va se rebeller ? Et là, tout l'argent du monde ne pourra pas la sauver.

Evyla conclut sur une note dramatique mais pleine d'espoir :

- Vous avez déjà rêvé de changer le monde ? Eh bien, vous en avez l'occasion. Faites des petits gestes écologiques au quotidien, sensibilisez autour de vous et vous aurez commencé à changer le monde.

Cette tirade est accueillie par notre professeure, madame Juakos , qui applaudit furieusement, ainsi que les quelques élèves qui ont suivi l'exposé. Les ovations résonnent dans la salle de classe et réveillent les autres qui regardent autour d'eux, déboussolés ou blasés, avant d'imiter la professeure en tapant mollement dans leurs mains. Je soupire face à ce manque de conviction.

Moi, Aya, 15 ans, je me bats pour changer le monde. Mais je ne peux pas tout faire seule. Tout commence par une pensée, un petit geste, des paroles prononcées, des convictions. Voilà ce qui manque au monde. La conviction qu'on peut s'en sortir autrement. Mais moi, j'y crois.
Madame Jubiko, notre institutrice d'histoire mais aussi notre professeure principale, nous félicite chaleureusement pour notre présentation "plus que réussie", d'après elle. Evyla et moi sommes ses élèves préférées dans cette classe de 3e agitée. Parce que nous croyons la même chose. Nous voulons la même chose. Un monde meilleur et moins pollué. C'est elle qui nous a demandé de résumer cette situation aux autres élèves, pensant qu'ils seraient plus attentifs si des camarades de classe leur expliquaient. Peine perdue.

La cloche sonne et me tire de mes pensées. Je soupire, récupère ma clé USB, la fourre dans mon sac et sort en compagnie de ma meilleure amie.

- Heureusement que c'est la pause ! souffle Evyla. Je crois que j'aurais pas tenu une minute de plus face à ces imbéciles endormis !

Je souris en songeant à nos différences et à nos ressemblances.
Je suis de nature plutôt timide, mais pas asociale. En revanche, je suis très impulsive et je recherche volontiers la présence de mes amies autour de moi. Je me débrouille bien à l'école - sauf en mathématiques. Ma moyenne a baissé depuis le début de l'année, sûrement parce que je m'intéresse plus à l'écologie qu'aux études, mais elle reste bonne. Rien de bien particulier à part ma détermination à toute épreuve.