Chaque morceau de moi.

Le protocole. Se tenir droit, sourire sur les photos, serrer des mains, poser encore pour des clichés officiels, sourire comme si vous étiez heureux d'être là, sauver les apparences... Sauver les apparences. Cette pensée fit pouffer Wilhelm en ce moment sous le jet de la douche. Il ne voulait pas sortir de la cabine et encore moins de sa chambre. Il voulait être à Hillerska, dans sa chambre avec Simon... mais il ne le pouvait pas. Foutue vidéo, foutu protocole, foutu August ! Pourquoi était-il protégé ? Sa mère avait beau dire qu'elle le protégeait  lui, tout ce qu'elle protégeait était sa précieuse Couronne et son précieux statut.

Lui n'avait jamais vu le privilège d'être traqué comme une bête sauvage et de voir sa vie réglée au millimètre près dès sa naissance. Oui, certes, il avait de l'argent, mais il y avait une seule chose que ce dernier ne pouvait acheter : le bonheur. La liberté. Une vie normale en somme.

Secouant la tête il éteignit le jet d'eau et quitta la cabine, enroula une serviette autour de sa taille et essuya de la main la buée sur le miroir. Il fixa son reflet durant de longues secondes se demandant s'il était quelqu'un de bien, ce qu'il devait faire pour sortir de tout ce bourbier dans lequel l'avait fourré son propre cousin. Il l'avait renié et ne regrettait aucunement ses mots. Il ne faisait plus parti de la famille pour lui. Quand il pensa qu'il l'avait aidé financièrement... Quel idiot il avait fait.

Wilhelm coiffa sommairement ses cheveux et se dirigea vers son armoire d'où il sortit un débardeur et une chemise blancs, ainsi qu'un pull à enfiler par-dessus. Le tout serait accompagné d'un pantalon de costume et la veste de celui-ci. S'il s'écoutait il traînerait en jogging toute la journée, mais son Altesse la Reine n'accepterait pas une telle tenue. Il se sécha puis s'habilla avant de se regarder une dernière fois dans le miroir, souffla pour tenter de se donner du courage et se dirigea vers la porte.

Derrière celle-ci se trouvait Melin comme son rôle le lui imposait, garde du corps du Prince depuis plusieurs années. Il lui adressa un petit sourire puis pris la direction du grand salon, où il retrouva ses parents et le photographe attitré. On lui tendit son caban qu'il enfila, ainsi que son écharpe et tous trois prirent la direction du parc autour du palais. Ils firent quelques clichés et ensuite marchèrent en faisant mine de discuter, tout en étant pris en photo. Les apparences, encore et toujours ces maudites apparences.

Lorsque toute cette mascarade fut terminée le jeune homme prit son portable dans sa poche droite et le déverrouilla. Il voulait envoyer un message à Simon, lui demander comment il allait, ce qu'il faisait, etc... Il avait vu ses story sur Instagram, il semblait heureux, mais il voulait tout de même s'en assurer. Rongeant l'ongle de son pouce gauche comme il en avait l'habitude lorsqu'il était stressé, il regarda autour de lui, sa mère en grande conversation avec la reporter habituelle, son père à ses côtés qui ne bronchait pas. C'était elle qui tenait les rennes de tout.

Avait-il seulement envie d'embarquer Simon dans ce genre de vie ? Non. Il ne le voulait pas et ne le pouvait de toute façon pas. Le protocole... Au Diable ces bouts de papiers qui vous dictaient ce que vous deviez faire de votre vie, à quelle heure vous deviez vous lever, quand vous coucher, où manger, quoi manger, comment et pourquoi. Comment sourire, vous tenir, parler...

Wilhelm
Salut, j'espère que tout va bien pour toi. J'ai vu tes story, tu as l'air de t'amuser.

Il l'envoya et en tapa un deuxième qu'il envoya aussitôt sans se poser la question.

Wilhelm
Je suis désolé Simon. Sincèrement, j'aurais aimé que tout ça soit différent...

Il quitta les messages et se rendit sur Instagram où il vit quelques photos de Felice, de Sara et évidemment, de Simon. Il aima celle de la brune et de Sara, mais hésita sur celles du bouclé. Il se mordit de nouveau le pouce en regardant sa mère qui était toujours en train de discuter, puis appuya deux fois du pouce droit sur l'écran. Aimer une photo n'allait pas être un drame, non ?

Simon de son côté essaya de se focaliser sur son temps passé en famille et avec ses amis. Wilhelm lui manquait, il n'allait pas mentir, mais il ne voulait pas être un secret. Pour personne. Et le Prince héritier n'était pas une exception. Il aimait Wilhem, mais il ne pouvait décemment pas le lui dire alors qu'ils devaient être cachés, comme si le bouclé était une honte. Ils n'avaient rien fait de mal. Il n'y avait rien de mal à aimer quelqu'un. L'amour n'était pas mal.

Il était en train de mâcher sa poignée de chips lorsque son portable vibra à ses côtés, annonçant l'arrivée d'un nouveau message. Il ne put retenir le léger petit sourire qui naquit sur ses lèvres en voyant l'expéditeur, et plus tard en lisant le premier message. Il pouvait sentir son hésitation au travers des mots. Le deuxième message par contre lui fit perdre son sourire. Cette situation était merdique. Il ne savait toujours pas qui avait filmé et partagé la vidéo, mais il avait le sentiment que tout le monde autour savait. Sa sœur également.

Il tapa un message rapide et verrouilla l'appareil qu'il posa à côté de lui, tentant de prendre part à la conversation et ainsi éviter à ses pensées de se noyer dans un flot de réflexion.

Simon
Tu es le Prince héritier, rien ne sera jamais normal...

- Quoi ? Demanda-t-il en remarquant le regard insistant de Sara.
- Je peux te parler, seul ?
- Heu, oui.

Simon se leva du canapé et se dirigea avec sa sœur à l'extérieur, fronçant les sourcils et ne comprenant pas pourquoi elle voulait le voir seul et de surcroît, dehors. Ils enfilèrent une veste et marchèrent un petit peu, le jeune homme remarquant bien vite l'attitude de sa sœur. Elle lui cachait quelque chose. Sara finit par s'arrêter et joua avec un caillou au sol, avant de prendre la parole.

- Il y a quelque chose que tu dois savoir Simon.
- Quoi ? Il demanda confus.
- À propos de la vidéo.
- Tu sais quelque chose ?
- Je sais qui l'a partagée.
- Quoi ? Co-comment tu... Qui ?

Sara lui expliqua donc comment, le soir de la Sainte-Lucie, elle avait vu August sur l'ordinateur de la bibliothèque alors qu'elle allait chercher son sac dans son casier. Les larmes lui vinrent au yeux tandis que Simon, choqué, secoua la tête et ne sut pas vraiment définir ce qu'il ressentait. Si c'était August, alors Wilhelm le savait. Et c'était l'une des raisons pour lesquelles l'enquête n'avançait pas.

- Pourquoi est-ce que tu n'as rien dit ? Pourquoi... Sara, tu... On s'était promis aucun secret !
- Je ne savais pas comment t'en parler...
- Tu... J'y crois pas. Pourquoi est-ce qu'il a fait ça ?
- Il est jaloux de Wilhelm. Il aimerait avoir son statut et tout ce qui va avec. August est quelqu'un de mauvais, d'envieux, manipulateur et menteur.
- J'aurais dû m'en douter. J'aurais dû... il chercha son portable dans sa poche et chercha rapidement le numéro de Wilhelm qu'il appela et qui répondit rapidement.
- Simon ? Co-
- August, c'était August.
- Comment est-ce que tu...
- Tu le savais, Simon pleurait désormais, tu le savais et tu l'as protégé.
- Non ! Non, Simon je... Je l'ai su par Felice. Ma mère le protège à cause du scandale que cela lui coûterait.
- Et moi Wilhelm ? Et ma famille dans tout ça ?
- Je suis désolé Simon, dit-il après un long silence. Je l'ai renié. Je lui ai dis qu'il n'était plus de ma famille, je ne veux plus rien avoir à faire avec lui Simon.
- Il doit payer pour ce qu'il a fait Wilhelm.

Wilhelm passa nerveusement sa main dans ses cheveux, cherchant une solution pour calmer Simon et également se calmer lui-même. Il écarta le portable de son oreille et demanda à Melin de l'emmener chez lui, avant de reprendre sa conversation et tenter de calmer le bouclé. À sa grande surprise il entendit bientôt la voix de Sara, elle aussi gorge nouée. Elle lui expliqua ce qu'elle avait dit plus tôt à Simon et s'excusa de nombreuses fois, tandis que Wilhelm se rongeait le pouce en informant la brune qu'il arrivait et raccrocha.

- Il va venir, dit simplement Sara en lui tendant l'appareil.
- Quoi ? Non. Non, je ne veux pas le voir.

Le bouclé marcha rapidement vers l'intérieur de son chez lui et partit dans sa chambre dont il ferma la porte, avant de s'allonger sur son lit et fermer les yeux, des larmes silencieuses venant noyer ses joues. Tout ça n'était qu'un mauvais rêve, il allait se réveiller et il n'y aurait pas de Prince, pas de vidéo, pas d'August... juste une vie normale. Comme avant.

Lorsque quelques minutes plus tard Simon entendit quelqu'un entrer dans sa chambre il ne se retourna pas, demandant simplement à cette personne qu'il pensait être sa mère, sa sœur ou un de ses amis, de le laisser seul. Puis ne l'entendant pas sortir il se retourna pour tomber face à Wilhelm les bras le long du corps, le visage nerveux et n'osant pas bouger. Il se redressa et s'assit au bas de son lit avant de se lever et s'avancer.

Une certaine tension était palpable entre les deux adolescents, ce fut Wilhelm qui fit le premier pas en s'avançant et prenant Simon dans ses bras. D'abord un peu surprit, le bouclé finit par lui rendre son étreinte serrant les paupières pour retenir ses larmes. Le plus grand répéta ses excuses en tentant de faire passer dans cette étreinte tout son amour pour Simon. Que faire d'autre ? Que dire d'autre ? Ils restèrent comme cela durant une minute ou plus, aucun ne le sut vraiment, avant que Simon ne se détache de lui et ne relève les yeux pour les planter dans ceux de Wilhelm.

Il allait trouver une solution. Il ne voulait pas perdre Simon. Pas cette fois. Pas encore.