Le Problème du Destin

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Fire inside Us

euphrazie

 « 3 : 27 »

C'est ce qu'affiche l'horloge franc-comtoise de la cuisine, à peine éclairée par un rayon de lune éthéré. Son tic-tic incessant, ce maigre son qui semble soudain terriblement étrange à une heure pareille. Qui peut dire qu'il a déjà vu l'aube se lever ? Quelques fois, quand le sommeil me fuit, je me sens comme privilégiée par la nature, comme si j'étais seule à voir ce spectacle, comme si j'étais, soudain, seule au monde, unique être vivant relié à la Terre. Et ce moment me fascine. Comme si la solitude devient alors tangible.

Je peine à me réveiller tout de même alors j'avale un verre de jus d'orange avant de me resservir, plus doucement. Je coule un regard vers Auréliane, encore roulée en boule sur le clic-clac du salon que mes grands-parents ont installé pour nous. Avec un maigre sourire à la voir emmitouflée dans ses couvertures, je m'adosse au comptoir, mon verre à la main. Le sucre et les vitamines de l'orange me réveillent les papilles. Auréliane me tourne le dos, endormie, avec ses longs cheveux qui traînent autour d'elle. J'entends un discret ronflement qui me fait sourire puis pose mon verre et griffonne un mot que je dépose sur le comptoir. Auréliane ne serait pas étonnée de me voir disparaître mais mes grands-parents si. Son t-shirt baille, découvre son dos et j'emporte cette vision hors de la cuisine pour enfiler un gros pull en laine et me chausse de bottes sales. Je rabats la capuche une fois dehors alors qu'un vent presque glacial siffle à mes oreilles. Je jette un regard au ciel, un sourire aux lèvres, et traverse le jardin.

Je me rappelle de la tête mi-déconfite mi-heureuse d'Auréliane quand je lui ai proposé de venir avec moi en plein dans le Jura.

— Tu veux m'embarquer à la montagne en plein été ? s'était-elle écriée.

J'avais explosé de rire avant de lui faire un câlin pour la convaincre d'accepter. Alors elle était venue, bon gré mal gré, même si elle ne vivait pas exactement très bien le « froid » en été. Mais je tenais à lui montrer la beauté des montagnes en été, avec le ciel clair et les milliers d'étoiles visibles, le calme et la sérénité quand on arrive en haut d'un col et qu'on voit le monde s'étaler à nos pieds, la tranquillité et le bonheur qui serpentent dans les pâturages. Auréliane avait plus passé son temps à maugréer contre les bouses de vaches, le vent qui ne cessait jamais, le froid qui s'installait chaque nuit, le soleil qui ne réchauffait pas assez pour pouvoir se baigner dans la piscine chauffée de mes grands-parents. Mon seul argument pour la convaincre de rester, c'est qu'il n'y avait pas de moustiques ; elle aurait repris le train sans tarder, sinon.

J'aperçois un panneau au bord du chemin qui mène chez mes grands-parents : « Col des Quatre Lacs ─ 3h20 ». Et sur un coup de tête, je prends le sentier qui disparaît dans la forêt. Pour le moment, je frissonne un peu mais je sais que marcher suffira à me réchauffer alors j'accélère le pas. La brume légère serpente entre les troncs et la lune, pleine cette nuit-là, éclaire suffisamment le chemin tracé au milieu des arbres, soudain devenus créatures d'un monde parallèle tant l'ambiance est particulière.

Il est un peu plus de quatre heures – une nuit sombre où les étoiles tissent leur immense tissu en filigrane –, l'heure où le silence d'une nature qui s'apaise sans ronflement des voitures s'est installé et règne désormais en maître, où le vent semble libre des poussières qu'il transporte inlassablement, où le ciel, noir d'astres, devient transparent. Je ferme les yeux, inspire l'odeur sereine de la fraîcheur du bois et l'humidité paisible d'une bruine récente ; je goûte la nuit et sa particularité séraphique sans réfléchir, comme si je cherchais la symbiose avec quelque chose d'intangible, d'irréel, de suspendu, là, au milieu du hululement de la chouette hulotte qui susurre à la nuit des secrets oubliés.

LE PROBLÈME DU DESTIN ─ une nouvelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant