I ~ La Chaumière

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C'était, disons, une journée comme les autres à mes yeux. Trente-et-unième jour du mois de juillet, neuvième année de guerre, autrement dit, 4564ème jour où je n'avais pas vu la réelle lumière du soleil. Ce n'est pas comme si j'en avais biologiquement besoin, avec nos technologies actuelles. Mais disons qu'il me manquait quand même. Lorsqu'on grandit sans la moindre présence naturelle, la moindre chose aurait révolutionné le quotidien.

Lorsque la guerre a commencé, je n'avais que dix ans. Je n'aurais jamais su vous dire comment elle avait débuté, ni pourquoi. Je me rappelle surtout des explosions, du bruit, et de maman qui me serrait dans mes bras, me disant que tout allait s'arranger. Je me rappelle avoir été blessée, mais pas de la douleur. C'est comme-ci quelque chose m'avait toujours protégée. Lorsque tout changea, cela faisait neuf ans que je vivais dans La Chaumière, mon immense bunker, avec pour simple compagnie un robot AX-530. C'est ce que les autres humains vous diraient. Pour moi, Scilla est beaucoup plus qu'une simple machine. C'est la seule famille qu'il me reste, et le dernier cadeau que maman m'a laissé.

Ce n'était pas le bunker auquel la plupart des gens pensent. Il était immense, disons à peu près de la même superficie qu'une villa du vingtième siècle. Il contenait un immense salon, une télé avec quelques milliers de films, des centaines de jeux-vidéos, une chambre à mon image, une immense piscine... Le rêve pas vrai ? Pourtant, les bons souvenirs se construisent rarement seuls. L'humain est un animal sociable et je n'avais pas eu d'amis depuis que j'étais enfant. Même en ayant de nombreux divertissements, mes journées n'étaient qu'ennui et d'envie de sortir. Chaque matin, Scilla m'annonçait les nouvelles du jour. Souvent, je renonçais à les écouter. C'était toujours la même chose, de toute façon. Comment croire qu'ils arrêteraient un jour de se battre ?

-

Une douce musique s'éleva dans l'air, l'heure de se réveiller. La nuit et le jour n'avaient plus de sens depuis longtemps pour moi, mais j'essayais quand même de me reposer un peu. Autour de moi, les spots du crépuscule s'allumèrent peu à peu. J'éteignis le réveil d'une main molle. Encore une journée comme les autres. Je me redressai, puis me mis en position assise. Je glissai mes pieds dans mes chaussons en velours et montai à l'étage supérieur pour prendre mon petit déjeuner. Scilla était déjà là, programmée pour démarrer dès que le réveil sonnait. Comme je prenais toujours une éternité à émerger, elle avait largement le temps de se mettre en place, elle qui est bien plus rapide que moi.

- Bonjour, Scilla, dis-je d'une voix endormie.

- Bonjour, Kathleen. As-tu bien dormi ?

La voix douce de Scilla vous aurait semblé hachée, robotique. Mais c'était le seul son qui aurait jamais pu me rassurer.Pas plus mal que d'habitude, et toi, ce rechargement ?

- Pas plus mal que d'habitude, répondit-elle en plissant les yeux. Que veux-tu manger ce matin ?

- Un jus d'orange et une tartine de beurre, s'il te plait.

Scilla se tourna vers le FoodMaker, notre machine à nourriture. Bien évidemment, ce n'était pas de la grande cuisine, simplement de la poudre lyophilisée. J'aurais adoré apprendre à cuisiner pour de vrai. Parfois, je demandais à Scilla de me lire quelques recettes. Même si on a pas les ingrédients pour, j'arrivais parfois à créer des mélanges mangeables.

- Veux-tu entendre les nouvelles du jour ?

Elle déposa une assiette sur la table. Ce jour-ci, le jus d'orange est bleu, ma couleur préférée. Je me doutais un peu qu'elle n'avait pas fait ce choix au hasard.

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