Je n'avais pas attendu qu'Alex sorte de la maison. Les autres non plus. Sans un mot, nous avions fini par reprendre le chemin de la voiture. Sarah et Céline à l'arrière, moi sur le siège passager.
Nathan ne m'avait pas regardée. Pas une seule fois.
Il semblait éviter mon regard et cela me faisait mal.
Car j'avais besoin de lui.
Il était mon pilier et il ne pouvait pas s'effondrer.
Nous étions arrivés devant le lycée, où Sarah et Céline étaient descendues de la voiture.
En silence.
Un silence bouleversant.
J'avais croisé le regard de Céline dans le rétro intérieur de la voiture au moment où elle sortait. Sans un mot, j'avais détaché ma ceinture pour ouvrir la portière. Céline avait voulu parler, mais je l'avais serrée dans mes bras pour la faire taire. Toutefois, j'avais entendu les trois mots qu'elle avait murmuré à mon oreille.
« Ca va aller. »
Non Céline, ça n'ira pas. Ca n'ira pas parce que j'ai été trahie par mon meilleur ami qui va détruire ma vie. En m'efforçant de retenir mes larmes, je l'avais relâchée. Elle m'avait souri, j'avais grimacé. J'aurais voulu m'excuser à propos de ce qu'avait dit Alex. J'aurais voulu lui dire que je n'avais pas été une bonne amie avec elle non plus. Mais je m'en sentais incapable. Dans mon dos, je sentais le regard de Sarah. Mais je m'en fichais. Je m'en fichais qu'elle me juge, qu'elle rit de mon malheur, je me fichais de tout.
- Joy ?
J'avais beau m'en ficher, je n'avais pas pu pas ignorer l'appel de Sarah. En me retournant, j'avais vu, contrairement au sourire narquois auquel je m'attendais, une véritable expression de compassion sur son visage. Elle avait hésité, semblant chercher ses mots, puis avait finalement lâché un simple :
- Je suis désolée.
J'avais haussé les épaules.
- Pour une fois que c'est pas toi qui me poignardes dans le dos, tu devrais être contente, non ?
J'avais aussitôt regretté la méchanceté de mes paroles, mais elle avait souri.
- Ouais, c'est sûr… Je voulais juste que tu saches que… Je vais te laisser tranquille, d'accord ?
Sa phrase m'avait fait hausser un sourcil. Sarah, me laisser tranquille ? Elle qui s'acharne à me pourrir la vie en permanence ? D'accord, nous avions été alliées ces dernières heures, mais elle me haïra toujours. Elle avait dû voir mon air sceptique puisqu'elle avait consenti à s'expliquer.
- T'as assez de soucis en ce moment et… On n'est pas amies, mais mieux vaut s'ignorer que se détester.
- Alors, tu ne vas rien dire à propos de Nathan et moi ?
Entendre le prénom de son professeur semblait l'avoir déstabilisée, mais elle avait fait « non » de la tête.
- Ce n'est pas parce qu'Alex va le dire au directeur que je ferai passer la rumeur dans le lycée… Il vaut mieux que personne ne soit au courant, n'est-ce-pas ?
- Merci. Me faire convoquer par le directeur demain sera déjà assez, je n'ai pas envie que tout le monde sache pourquoi.
Elle avait acquiescé, puis avait haussé les épaules.
- Eh bien… Bon courage.
- Merci.
Avec une dernière tentative de sourire pour Céline, je m'étais rassise dans la voiture. Nathan ne m'avait toujours pas lancé un regard en redémarrant.
Pas un regard.
Pas un mot.
Et finalement, après des minutes de lutte contre moi-même, je m'étais effondrée en larmes dans la voiture.
***
- Mon ange… Ne pleure pas, je suis là… Je suis là, d'accord ?
D'un geste doux de la main, Nathan essuie une des larmes qui coule sur ma joue. Aussitôt après que je me sois mise à pleurer, il s'était arrêté et avait garé sa voiture sur le bas-côté, pour venir me prendre dans ses bras. Je me sentais ridicule d'avoir craqué comme ça. Mais je n'avais pas pu résister. Etait-il possible d'avoir aussi mal ? Mon cerveau refusait de réfléchir. Je n'avais conscience que d'une seule chose : bientôt, je n'aurai plus rien. Bientôt, Alex aurait tout pris.
C'était mes dernières heures avec Nathan.
Demain, je devrai faire face au principal pour lui expliquer qu'il ne s'était rien passé entre mon professeur et moi. Demain, je devrai mentir mais ce n'était rien face à la perspective de perdre l'amour de ma vie. Demain, je perdrai tout.
Nathan me serre dans ses bras. Comme s'il pouvait me protéger de tout ça, comme si ses bras étaient un rempart contre l'horreur qui nous entoure. Il m'enferme dans notre bulle, mais pour la première fois, la bulle éclate. Notre bonheur s'enfuit par tous les trous, et je ne peux rien faire pour le retenir.
Je regarde Nathan et tente de graver son visage dans ma tête. Ses yeux bleus-gris qui me dévisagent avec gravité, ses lèvres qui m'ont tant de fois offert sourires et baisers. J'essaye d'imprimer cette image dans ma tête, ses quelques cheveux qui volettent sur son front, sa barbe de trois jours et ses cernes qui ne parviennent qu'à renforcer sa beauté.
- Nat', je…
Je voudrais parler. Je voudrais lui dire que je l'aime, que je suis désolée, mais je sais que cela sonnera comme un adieu. Parce que c'en est un. Et je suis incapable de continuer ma phrase. Nathan ne semble pas m'en vouloir, il cligne longuement des yeux et se passe une main sur le visage.
- Il fallait bien que ça arrive, non ? me dit-il d'un air grave.
- Non. Ca n'aurait pas dû arriver. On aurait pu être heureux, toi et moi. Amoureux. Je ne veux pas que ça s'arrête. Parce que ça ne peut pas s'arrêter. On a encore trop de choses à vivre, toi et moi. Qui a le droit de nous retirer ça ? Je ne veux pas vivre sans toi. Je ne peux pas. C'est peut-être une phrase qu'on entend souvent dans les films, mais là, c'est la simple vérité. Je n'ai commencé à vraiment vivre qu'en te rencontrant.
Nathan m'attrape la main et la serre fort. En silence. Toujours ce silence assourdissant. Mais cette fois, je sais qu'il ne durera pas. Car c'est le dernier moment pour révéler tout ce qu'on aurait dû avoir le temps de se dire pendant encore plusieurs mois. Plusieurs années peut-être.
- La vérité Joy, c'est qu'ils ont le droit de nous retirer ça. On le savait depuis le début, n'est-ce-pas ? On n'a juste jamais voulu y croire. Parce que ça paraissait impossible d'y croire.
- Mais…
- Mais j'ai toujours pas envie d'y croire. J'ai pas envie de comprendre que pour le restant de ma vie, tous tes sourires et tes baisers ne me seront pas destinés. J'ai jamais eu envie de le comprendre, d'ailleurs. C'est pour ça qu'on en est là aujourd'hui. Tu te rappelles quand je t'ai dit que je suis tombé amoureux de toi quand tu es rentré dans ma salle de classe, à la rentrée ?
Je hoche la tête.
- Je ne m'étais jamais rendu compte à quel point c'était vrai. Aujourd'hui encore, je pourrais te dire quels vêtements tu portais, quel maquillage tu avais, et de quelle salle il s'agissait. C'est l'un de mes plus beaux souvenirs, c'était de te voir entrer dans ma vie. Je ne savais juste pas ce que ça impliquait. Pendant un moment, j'ai refusé mes sentiments mais aujourd'hui, alors que je les accepte enfin, je vais devoir les cacher pour le reste de notre vie.
Il s'interrompt un instant, mais je sais qu'il n'a pas fini. Ses yeux se perdent pendant une seconde dans le vide, mais quand il les repose sur moi, je tressaillis. Son regard me fait toujours le même effet.
- Mais ce n'est pas parce que je suis obligé de cacher tout ça que j'arrêterai de ressentir quelque chose. J'ai juste besoin que tu saches quelque chose, c'est que je t'aime et que tu es la plus belle chose qui me soit arrivée. Et surtout, n'oublie jamais que tu es une fille extraordinaire. Même si un peu bavarde en cours.
Il m'offre un de ses rares sourires en ce moment, mais je suis incapable de le lui retourner.
- C'est un adieu ? demandé-je d'une voix tremblante.
Nathan arrête de sourire.
- Non. C'est juste une vérité qu'il faut que je t'offre avant qu'il ne soit trop tard.
- Dans mon langage, ça s'appelle un adieu.
- Dans le mien, c'est une déclaration d'amour.
Et là-dessus, il m'embrasse. Ses lèvres chaudes sur les miennes me réchauffent le corps, mais mon coeur reste désespérément brisé. La plénitude et l'amour qui m'envahissaient à chaque fois que je le regardais, qu'il était avec moi, ont disparu pour laisser place à une souffrance incommensurable. Je tente de me rapprocher encore de lui et il me prend par la taille pour me serrer contre lui. Notre baiser s'intensifie et je commence à passer mes mains sous son tee-shirt. Mais même le contact de sa peau douce et chaude sous mes mains ne me calme pas. Est-ce notre dernier baiser ? Je tente de me contrôler mais une nouvelle larme s'échappe et Nathan se recule brusquement.
- Mon ange…
- Je suis désolée. Je suis désolée, vraiment désolée, je…
Mais il me fait taire en me posant un doigt sur les lèvres. De son autre main, il essuie ma dernière larme. Je lui offre un sourire affreusement triste.
- J'ai l'air pathétique à réagir comme ça, comme une gamine…
- Ne dis pas ça.
- Ben si. J'aimerais réussir à faire la fille forte comme toi tu arrives à rester fort, mais j'en suis incapable… Comment tu fais ?
Nathan me regarde en silence. Il me dévisage et derrière son regard, je sens une gravité inhabituelle. Gravité teintée de tristesse, de chagrin, de colère. Et je comprends tout à coup. Il peut me mentir par les mots et faire comme si rien ne l'atteignait, mais ses yeux ne mentent pas. Il a aussi mal que moi. Et sa façade est là pour que je ne m'effondre pas. Il reste mon pilier. Il n'évitait pas mon regard car il ne m'aimait plus, il l'évitait pour avoir le temps de reprendre une contenance.
- Tu sais, me dit-il brusquement, je n'ai jamais eu aussi mal qu'aujourd'hui. Jamais. Quand Isabelle m'a quitté, je pensais être au fond du trou, mais j'étais bien loin d'imaginer ce que c'était la réelle souffrance de perdre quelqu'un. Mais pour encore quelques minutes, quelques heures, tu es encore là. Tu n'es pas partie. Et ta présence suffit à me donner de la force. C'est aussi simple que cela.
Une nouvelle fois, il me serre dans ses bras et nous restons ainsi sans rien dire. Ses cheveux me chatouillent la joue et je ferme les yeux, m'abandonnant pour de bon à son étreinte. Je l'entends soupirer et son souffle sur mon cou me fait frissonner. Je m'éloigne alors de lui pour le regarder dans les yeux.
- J'ai été injuste, lui avoué-je avec une grimace.
- De quoi tu parles ?
- De nous. T'es là à me faire des déclarations d'amour et ma seule réponse, c'est de te pleurer dessus. C'est pas terrible, non ?
Il rigole. Son rire est le plus merveilleux son du monde et pendant quelques secondes, le temps s'arrête. Ne reste que son sourire exceptionnel et son rire qui résonne dans mon coeur. Je l'observe en silence, avec un vague sourire qui n'égalera jamais le sien. Mais tout a une fin, et Nathan finit par cesser de rire.
- Je ne t'en veux pas. Enfin bon, c'est vrai que j'ai toujours été assez mauvais pour rassurer les gens, mais c'est quand même rare qu'ils finissent par pleurer sur mon épaule ensuite.
- T'as jamais été très bon en conseils.
- Je dois pas être assez pédagogue.
- Ces profs, de nos jours, ils ne savent plus rien faire.
- En même temps, vu les élèves qu'ils ont, c'est déjà étonnant qu'il y ait des fous qui continuent à vouloir être prof.
Cette fois, c'est moi qui rigole. Nathan m'imite. Nouvelle seconde qui s'étire, puis silence. Encore. Je lui offre un sourire gêné.
- J'aurais dû t'écouter.
- A propos de ?
- Alex. Tu n'avais pas confiance en lui, et tu avais raison.
- Bien sûr que si, j'avais confiance en lui… Enfin, jusqu'à ce qu'il t'embrasse mais même là, je pensais que ce n'était qu'un garçon blessé qui avait commis une simple erreur. Mais je ne pensais pas…
- Qu'il nous trahirait et déciderait de tout révéler au principal ? Ben je te rassure, moi non plus.
Nathan soupire une nouvelle fois. Mais je change de sujet.
- Nat', je t'ai jamais remercié.
- Pour ?
- Pour avoir cru en moi et surtout pour m'avoir apporté plus de bonheur en quelques jours que je n'en ai jamais eu avant. Je sais que tout est allé très vite entre nous. Enfin, à part le mois et demi qu'on a passé sans s'adresser la parole après notre engueulade, on a toujours été si proches… On est tout juste fin octobre et même si ça ne fait que quelques jours qu'on est ensemble, on ne peut pas nier que c'est allé très vite entre nous.
- Et tu le regrettes ?
- Non. Justement. Plusieurs fois, je me suis interrogée sur le bien-fondé de notre relation. Je sais aujourd'hui que si tout est allé si vite, c'est justement parce que tu es l'homme de ma vie. Pas besoin de question, d'interrogations, de peurs. On est faits l'un pour l'autre et c'est comme ça.
- Et pourtant… souffle Nathan d'une voix sourde.
- Et pourtant, on se séparera demain. Mais, et je viens juste de le comprendre, ça ne veut pas dire que c'est fini entre nous.
Je le regarde droit dans les yeux.
- Aujourd'hui, nos chemins se séparent, et pourtant, malgré mon chagrin et mes doutes, je m'efforce de ne pas avoir peur. Parce que je sais que si on est faits pour se retrouver, on se retrouvera. Dans six mois, un an, dix ans. Tous ces efforts, ce n'est pas pour rien. Tout ce qu'on subit, ce n'est pas pour rien. Ca vaut le coup, ça a toujours valu le coup. Si quelque chose était à refaire, je ne changerais rien. Parce qu'avoir eu le droit d'être avec toi, ça valait toute la souffrance du monde. J'ai déjà eu quelques courtes relations avant, quelques flirts, et pas un ne s'est passée sans que je m'interroge sur mes sentiments. Avec toi, c'est bien la seule chose qui est sûre. C'est que je t'aime, et que tu m'aimes aussi.
- Bien sûr que je t'aime, mais…
- Attends.
- Pardon.
Je lui lâche un vague sourire puis reprends :
- Ce que je suis aujourd'hui, je te le dois en grande partie, Nat'. Tu es arrivé à un moment de ma vie où tout ce que j'avais, c'était des doutes. J'étais seule et pour ne rien te cacher, j'ai plusieurs fois été déçue par des gens. On l'a tous été et je ne suis qu'une de plus parmi les victimes de la déception, mais j'avais été suffisamment blessée pour ne plus vouloir m'attacher. Et tu es apparu dans ma vie quand je m'y attendais le moins, tu t'es ouvert pour que je me retrouve, et tu m'as appris à aimer. Alex m'a dit que je perdais mon humanité quand j'étais avec toi, je ne suis pas d'accord. Je n'ai jamais grandi aussi vite que ces deux derniers mois, et j'ai gagné en maturité. Je sais aujourd'hui que malgré tout ce que je croyais savoir, je ne savais rien.
Je m'arrête une seconde pour reprendre mon souffle, mais Nathan ne répond pas. Il sait que je n'ai pas fini et que c'est le dernier moment où je pourrai lui dire tout ça.
- Je ne savais pas ce que c'était, d'aimer. Je ne savais pas ce que c'était, d'être soi-même. Je ne savais même pas qui j'étais. Ou même ce que je voulais. Tu m'as offert ton amour sans rien demander en retour, ça m'a forcée à être moi-même et à me remettre en question. Tu m'as aidée à croire en moi-même, à assumer mes rêves. J'en veux à Alex de m'enlever tout ça, plus que tout au monde. Mais je t'aime et c'est le plus important. Je n'ai pas perdu mon humanité, je l'ai gagnée quand j'ai réappris à aimer.
J'achève ma phrase en lui souriant. Un sourire-adieu. Sourire-amour. Sourire que ne me renvoie pas Nathan.
- Je ne savais pas tout ça, me dit-il en fronçant les sourcils.
- Parce que je ne pensais pas avoir à te l'avouer. Mais j'ai envie que tu saches que je ne cesserai pas de t'aimer. Et que tu es une belle personne, Nathan.
Nathan se rapproche de moi d'un pas.
- Merci de m'avoir confié tout ça. Je n'oublierai jamais. Et je veux que tu saches que tu as aussi changé ma vie. Je ne veux pas gâcher par des mots vides tout ce que tu viens de me dire, mais je t'aime.
- Moi aussi je t'aime. Mais je t'ai un peu menti.
Nathan penche la tête sur le côté.
- Ah bon ?
- Oui. J'ai un peu peur pour demain…
- J'ai peur aussi. Mais je n'ai pas envie d'y penser maintenant. J'ai envie de profiter des dernières minutes avec toi.
Je regarde Nathan sans rien dire, en réfléchissant.
- Tu as quelque chose de prévu ce soir ? lui demandé-je les sourcils froncés.
- A part pleurer sur mon sort, non, pas grand-chose.
Avec un sourire, je sors mon téléphone et compose un numéro. Au bout de deux sonneries, cela décroche.
- Allô Maman ? C'est Joy. Ecoute, Céline m'a proposé de passer la nuit chez elle. Je sais que j'ai cours demain mais c'est les vacances dans 5 jours alors…
Je parlemente avec ma mère encore quelques secondes, puis raccroche et me tourne vers Nathan en souriant.
- Bon, ben maintenant tu as quelque chose à faire. Je dors chez toi ce soir.
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Déchirure -Relation prof-élève-
RomanceIls ne comprennent pas. Ils trouvent cela anormal. Ils me jugent. Je m’en fiche. Ils ne savent pas ce que c’est, l’amour qui me dévore. Ils passent pourtant leur temps à en parler, de l’amour. Ils voudraient le trouver, le rencontrer, le garder. Alo...