Chapitre 6

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Quand elle ouvrit les yeux à nouveau, Jade eut le sentiment d'avoir fait un bond dans le passé. La nuit avait cédé la place au jour, le grand brun mal coiffé était à son chevet en train de fumer la pipe et de lire son livre, et elle se sentait à la fois nauséeuse et fatiguée. Son corps peut-être moins endolorie et son estomac moins creux, mais globalement dans le même état que lorsqu'elle était arrivée et qu'elle avait découvert cette chambre pour la première fois. 

En revanche, force lui fut de constater que deux éléments n'étaient pas à leur place habituelle. Son épée n'était pas appuyée contre le mur, ainsi qu'elle le faisait chaque fois qu'elle se couchait. Et son médaillon n'était plus autour de son cou. Elle se redressa violemment, sentant un frisson glacé lui parcourir l'échine. Son garde-malade se retourna en entendant le bruit des draps.

"Enfin réveillé ? J'ai l'impression qu'on a un peu chargé la dose, finalement.

- Vous m'avez endormi ?

- Un peu plus longtemps que prévu, mais si c'est pour des reproches, c'est pas avec moi qu'il faut voir."

Jade se leva aussitôt, bien décidée à démêler au plus vite les raisons d'une blague aussi étrange qu'inquiétante. Et à retrouver ses deux trésors tout aussi rapidement. C'est donc d'un pas ferme et en s'efforçant de ne pas montrer à quel point elle tenait encore mal debout qu'elle suivit le grand brun jusqu'à un quartier qu'elle ne connaissait pas encore, pour entrer dans la chambre d'Amé. La porte se referma automatiquement derrière elle, les laissant seuls face à face et aussi incertains l'un que l'autre de la conduite à adopter.

C'est que la colère de Jade était retombée brutalement en voyant Amé, blessé, couché dans son lit et les yeux essayant de se fixer à peu près n'importe où sauf sur elle. Elle resta un long moment bouche bée, cherchant désespérement ce qui avait pu se passer au cours de la nuit qui puisse justifier qu'elle se soit endormi aussi soudainement et qu'elle le retrouve dans un état pareil le lendemain. Avant que son regard ne glisse doucement jusqu'à la table de chevet pour y reconnaître son médaillon. La rougeur qui monta aux joues d'Amé découvrit une part de sa culpabilité, mais ne demeura que modérée jusqu'à ce qu'elle découvre son épée dans un coin de la chambre. Ou du moins, ce qu'il en restait, puisque, au vu de l'équilibre précaire de la poignée sur le fourreau, il semblait évident que la lame à l'intérieur n'était plus aussi complète que lorsqu'elle l'avait dégaînée la dernière fois. Elle sentit son corps se mettre à trembler violemment, aussi bien à cause de la fatigue que de la colère qu'elle sentait monter et qu'elle ne voulait surtout pas ressentir. Elle s'assit au chevet d'Amé, respirant à grandes gorgées pour se calmer avant de prendre la parole. Mais en voulant regarder Amé bien en face pour faire peser le poids de chacun de ses mots, sa tyrade resta bloquée quelque part dans son esprit et laissa échapper une plainte pitoyable.

"Mais il s'est passé quoi, au juste ?"

Amé se redressa, s'appliquant à ne regarder que ses draps, les traits tirés. Avant de finalement prendre sa décision et laisser échapper.

"J'y suis allé."

Le silence s'abattit sur la pièce, de plus en plus pesant à mesure que Jade prenait conscience de la signification réelle de la phrase.

"Tu es allé... te battre à ma place ?"

Amé eut un bref signe de tête pour approuver. Elle se leva brutalement sans même en prendre conscience.

"Mais ça va pas ? Qu'est-ce qui a bien pu te passer par la tête pour prendre un risque pareil ?"

Il leva enfin les yeux sur elle, dans un regard plein de reproches, avant de lui répondre.

"Et toi ? Qu'est-ce qui aurait pu te pousser à y aller sans même espérer en revenir ?

- J'aurais pu en revenir !

- Pas dans la disposition d'esprit que tu avais adoptée. Tu n'en serais jamais revenue.

- Quand bien même, ce n'est pas à toi de prendre un tel danger !

- Mais personne n'a dit non plus que tu devrais l'affronter seule.

- Alors pourquoi y aller sans moi ?"

Il haussa les épaules, préférant la laisser se calmer pour comprendre la réponse d'elle-même. Elle resta déconcertée un instant, ses yeux allant d'Amé à son épée à présent inutilisable. Finalement, elle se laissa retomber dans son fauteuil.

"Maintenant, même si je voulais y aller, sans épée, je suis plus capable de rien.

- Disons que ton épée ne te servirait pas à grand chose.

- Pas dans cet état, c'est sûr."

La phrase fut suivie d'un silence qu'elle ne comprit pas tout de suite. Elle releva la tête vers Amé pour constater qu'il l'observait d'un air insistant, attendant qu'elle comprenne enfin. Ses yeux s'écarquillèrent doucement.

"Comment ça, mon épée ne me servirait pas à grand chose ?

- Une épée n'est utile que s'il y a un ennemi à combattre, non ?

- Tu l'as vaincu ?"

Il haussa à nouveau les épaules, mais avec un sourire un peu plus satisfait, cette fois-ci. Elle le regardait avec autant d'incrédulité que d'admiration.

"Mais comment tu t'y es pris ?

- J'ai suivi tes indications, c'était pas beaucoup plus difficile que ça.

- Mais je t'ai presque rien dit !

- Tu m'en as certainement dit plus que tu ne l'as réalisé toi-même. Tu avais besoin d'en parler, et chaque détail du combat faisait tellement partie de ta vie que tu n'as même pas pris conscience de la précision de tes descriptions. Je me suis simplement fié à ce que tu as dit."

Jade resta bouche bée un long moment, constatant avec un amusement qu'elle avait du mal à contenir que l'air embarrassé qu'adoptait Amé au départ avait cédé la place à un sourire satisfait. Enfin, elle revint un peu à la réalité.

"Et tu as accompli un exploit pareil en une seule nuit ?

- Non. Je t'ai donné de quoi dormir une semaine complète. J'ai eu largement le temps de faire l'aller-retour pendant que tu restais prisonnière de la plus douce des prisons pour ceux qui ont un esprit tranquille : le rêve.

- Une semaine ?"

Amé hocha la tête pour confirmer.

"J'ai dormi une semaine ?"

Il acquiesça de nouveau, avec un sourire un peu plus large qui acheva de la décontenancer. Elle finit par éclater d'un grand rire nerveux qui s'acheva dans une crise de larmes, laissant Amé perplexe. Il s'assit sur le bord de son lit pour tenter de la prendre dans ses bras. Elle s'y précipita alors même qu'il touchait son épaule, éclatant en sanglots.

"Et je vais faire quoi, moi, maintenant ?"

Il resta silencieux un long moment, la serrant de plus en plus tendrement tandis qu'il sentait son étreinte à elle se resserrer également, avant de lui murmurer à l'oreille avec le plus grand sérieux.

"Vivre."

L'ultime combatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant