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« On dit souvent que le temps guérit toutes les blessures. Je ne suis pas d'accord. Les blessures demeurent intactes. Mais avec le temps, notre esprit, afin de mieux se protéger, recouvre ces blessures de bandages et la douleur diminue, mais elle ne disparaît jamais. »

Rose Kennedy

Le dernier coup que mon adversaire me porte fait s'écouler le sang de mon nez, mais je ne m'en formalise pas.

J'ai l'habitude de ressentir la douleur et de voir ce liquide carmin glisser sur ma peau. Chacun des coups que j'encaisse me rappelle pourquoi je fais cela, pourquoi je continue. Une feinte à droite le déséquilibre, j'en profite pour lui asséner un uppercut qui clôture le combat. Sa carcasse s'écroule au sol alors que la foule se déchaîne et que l'intensité des cris redoublent. L'issue du combat a toujours été évidente pour moi, elle l'était moins pour eux. L'arbitre me déclare vainqueur. Sous les ovations, je quitte le ring improvisé avant que quelqu'un d'autre ne me provoque.

Je connais aussi bien mes capacités que mes limites. Là, elles sont atteintes. L'hémoglobine chaude coule sur mon menton et la sueur glisse de mon front jusque dans mes yeux, me brouillant la vue. N'importe qui en profiterait pour me mettre à terre afin de prendre l'ascendant. Je ne vais pas leur faire ce plaisir. Je me fraye un chemin dans la masse, sous les félicitations et les acclamations, jusqu'à rejoindre la porte qui mène au toit.

Après la chaleur étouffante du hangar, l'air frais extérieur me fait le plus grand bien. La brise nocturne me tire même un frisson alors que je m'installe sur le rebord, mes jambes dans le vide. Je sais à quel point ma position est dangereuse, mais je n'en ai que faire. Elle ne l'est guère plus que le ring que je viens de quitter. Là-bas, nul gant de boxe, ni protège-dents. Les combats y sont violents, miroir de la violence qu'il peut y avoir dans nos vies. Je ne me bats pas seulement pour survivre, mais également pour me rappeler que je suis vivant. Certains diront que je suis fou, d'autres que j'ai besoin d'aide. Moi, j'existe et c'est tout ce qui compte.

La porte rouillée se fait entendre dans mon dos, je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qui vient de me rejoindre. Une bière surgit devant mes yeux et je m'en saisis pour en boire une longue rasade. La douleur fait pulser mon crâne, je l'ignore. Je m'occuperai de soigner mes blessures lorsque je serai de retour chez moi, en lieu sûr. Ici, même si le combat est fini, je reste sur mes gardes. Les règles de Caleb sont claires, mais elles n'empêchent pas certains de les enfreindre et de n'en faire qu'à leur tête. À leurs risques et périls.

Alexiane s'installe sur le rebord à mes côtés, les pieds toujours sur le toit, et pose sa tête sur mon épaule. Je porte de nouveau le goulot à mes lèvres, sans prononcer un mot. Elle sait que je vais rester muet pour le moment, alors elle reste silencieuse à mes côtés, dos au vide. Elle me trouve courageux pour être assis au-dessus du néant. Je la trouve bien plus courageuse de ne pas lui faire face.

Ma bouteille rejoint le muret et j'observe mes mains. Elles sont couvertes de sang, mélange du mien qui teinte les jointures, et de celui de mes adversaires. Une multitude de cicatrices les strient, témoins de chaque combat que j'ai pu mener dans l'Arène. Et que j'ai gagné. C'est ce qui fait de moi l'une des cibles à abattre pour se faire plus de fric.

Mon regard se perd dans l'observation de la ville endormie alors que je soupire. Alexiane prend cela pour un signal.

– Tu t'en es bien sorti, ce soir. Il t'a mis en position de faiblesse et ça a fait monter les paris.

– Je n'étais pas en position de faiblesse.

– Il t'a pété le nez, Morgan.

– C'est un coup comme un autre. Il n'est pas cassé, à peine amoché. Si les gens pensent encore que cela suffit à me mettre à terre, c'est qu'ils ne m'ont pas assez vu sur le ring.

Beyond Your Silence - 1 [AUTO-EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant