Une guerre

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De la gadoue sur les vêtements autant que sur nos visages, nous attendons. Le soleil nous jette un dernier coup d'œil nous éclairant de sa lueur rougeâtre comme pour nous dire à demain. Nous attendons. La cime des arbres qui entoure notre camp pointe droit vers le ciel comme pour nous prendre de haut, et nous attaquent de leurs ombres qui s'agrandissent au fur et à mesure que le temps passe. Nous attendons toujours. Nous sommes maintenant habitués à cette gadoue qui s'insère dans le moindre espace, entre nos habits et notre peau. Une fois qu'elle a pris place sur notre corps, elle n'en bouge plus jusqu'à se sécher et se solidifier. Elle est comme une seconde peau, un semblant de protection contre le froid et...nous attendons encore. La nuit a désormais jeté son encre noire et baveuse sur nous ne nous permettant même plus de nous repérer dans l'espace. Il nous reste encore 30 min environs à attendre avant que nos yeux ne s'y habituent et, en attendant, c'est notre ouïe qui prend le relais. Nous savons bien comment cela fonctionne, cela fait déjà 3 mois que nous vivons ainsi, sans aucunes nouvelles de nos proches. Soudain, deux grands cercles lumineux viennent nous éblouir et foncent droit sur nous. La réaction fut immédiate, pour l'un d'entre nous c'était un soulagement mais, pour d'autre, ce n'était que la routine. Au fur et à mesure les cercles s'agrandissaient et nous pouvions apercevoir la forme de notre véhicule qui s'arrêta peu de temps après dans un bruit assourdissant à nos côtés. Le camion militaire était enfin là. Nous étions 3 hommes mais n'importe qui nous confondrait à des bêtes tous droits sortis d'un de ces contes affreusement horrifiques.

Nous montâmes l'un après l'autre et nous prîmes place dans ce qui allait nous conduire soit vers la mort, soit vers une guerre infinie. Mais le petit jeune qui se trouvait à droite du conducteur se tenait droit et fier. C'était lui qui n'avait pas voulu s'asseoir de peur de se salir. Il était le seul à avoir les yeux emplis d'espoir que tout se termine enfin, le seul à avoir la force de faire la conversation au conducteur le sourire aux lèvres. Nous autres, voûtés et désespérés, ne faisions que penser à ce que ce nouveau champ de bataille allait nous offrir. L'homme assis à mes côtés passait le temps en comptant et recomptant ses doigts, il n'en avait plus que 7. La route était chaotique et nous obligeait à utiliser le peu de force qui nous restait de la journée pour ne pas passer par-dessus car, en cas contraire, le conducteur ne ferait pas demi-tour. Entre temps la lune avait fait son apparition et nous éclairait de sa lueur blanchâtre, nous permettant ainsi de voir le paysage désastreux défiler à notre gauche. La forêt n'était plus et désormais, c'était une étendue de boue trouée de toutes parts dont certains creux portaient encore les vestiges de l'obus qui en était la cause. D'autres fumaient encore mais, le pire dans tout cela était bien sûr les corps, ou plutôt les morceaux de corps, jonchant le sol et se noyant dans un liquide pourpre encore frais. Soudain, le jeune homme attrapa la main du conducteur qui ne l'écoutait plus depuis déjà une bonne heure, et lui cria de s'arrêter afin de secourir un homme qui semblait appeler à l'aide. Après quelques minutes, ne supportant plus l'enthousiasme et les gueulements incessants de celui-ci, il fit demi-tour et rejoignit le semi-cadavre. Lorsque le moteur fut coupé un silence de mort plana nous laissant entendre un minuscule gémissement. Le conducteur lâcha les commandes, sorti son arme et la pointa au sol. Le jeune homme, hors de lui, abaissa d'un coup de main l'arme de son compagnon et sauta du camion pour venir en aide au soldat à terre. Cependant, lorsque celui-ci s'approcha de la victime pour l'aider à se relever, il ne vit qu'une moitié de corps et une bouche à moitié arraché le suppliant de mettre fin à sa vie. Il se tourna alors vers nous d'un air suppliant et nous demandant de le faire à sa place mais, il fallait qu'il apprenne, alors on lui imposa un choix : soit il le tuait, soit on repartait. Lorsque nous repartîmes le jeune homme ne parlait plus, ne souriait plus, et l'espoir dans ses yeux s'était envolé.

Cela faisait déjà une bonne heure sûrement que le jeune soldat ne parlait plus, les yeux dans le vide. C'est alors que je compris que nous n'avions fait que ressentir de la jalousie envers cet homme encore si naïf. En y repensant on avait tous été comme lui au début, on voulait juste être utile à ce monde sans jamais penser une seconde que nous étions sur le chemin de la violence et de la mort. Le chauffeur croisa mon regard pendant quelques secondes, il pensait à la même chose et s'en voulait terriblement. Il posa tendrement son regard sur le jeune et, comme pour se faire pardonner, il commença à lui faire la conversation :

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 26, 2021 ⏰

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