Chapitre 3

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     J'étais sur la route de la délivrance et je nageais dans le bonheur. C'était stupide, je le savais, car je n'avais aucune certitude sur l'accueil qu'elle me ferait. Mais je n'y pouvais rien, c'était plus fort que moi.

     Combien de fois déjà avais-je ressassé ce qui était à l'origine du nous que je désirais tant voir se concrétiser ? Je n'avais plus assez de doigts pour les compter et je ne suis même pas sûr qu'en y joignant les vôtres cela suffise. Vous voulez un aveu ? Je vous le donne : je vénérerais le site de jeu en ligne où je l'avais rencontrée jusqu'à la fin de mes jours !

     En repensant à nos échanges, j'étais incapable de m'empêcher de sourire. Elle n'avait peur de rien ! Dans le clan, c'était une meneuse souvent présente, pour ne pas dire tout le temps. Alors, comme j'étais moi-même un peu geek sur les bords, on se croisait souvent, pour ne pas dire tout le temps.

     Bien qu'elle ne soit pas la seule fille du groupe, elle s'était démarquée dès notre première discussion. Franche, directe, honnête et rigolote, on avait très vite parlé de tout. Et par tout, j'entends bien tout ! Elle avait cette facilité à balancer dans la même conversation être sur le point de se marier, mais aussi avoir une préférence pour les shortys. D'ailleurs, c'était sûrement ce dernier point que j'avais le mieux intégré...

     Rapidement, les messages privés internes au jeu, trop limités en caractère, ne nous avaient plus suffi et on avait basculé sur MSN. Oui. MSN. Cette antiquité du net qui n'existait plus de nos jours et qui était déjà presque morte à l'époque... Mais que voulez-vous ? Le geek en moi avait pourtant accepté de réinstaller ce logiciel fossile rien que pour quelques minutes passées à bavarder avec elle. Oh ! ne vous faites pas d'idées, hein, on ne faisait que bavarder ! Entre nous, les choses étaient claires. Elle était fiancée et moi heureux en ménage depuis trois ans.

     Sans que l'on s'en rende compte, nos échanges s'étaient imposés dans le quotidien. Une routine que l'on avait échoué à cantonner à la présence d'un ordinateur. Attendre d'être chez nous, clavier à disposition, était devenu une véritable frustration. On avait donc partagé nos numéros de portable pour laisser fuser les mots dès qu'on les pensait.

     — Dis, tu es sûre que ça ne gêne pas ton chéri ? avais-je demandé un jour alors qu'elle appelait.

     — Mais non ! s'était-elle exclamée. Ne s'est-on pas promis de se prévenir si les conjoints se mettaient à râler ?

     — Si...

     J'avais lâché ma réponse le ton un peu coupable. Mais elle n'avait pas relevé, déjà en train d'enchaîner :

     — Alors comme je ne t'ai rien dit, c'est OK mon lapinou !

     Coupable, vous vous souvenez ? Parce que moi, je lui cachais que ma copine vivait notre amitié comme une intrusion dans notre couple, m'accusant de m'enfermer dans une bulle à laquelle elle n'avait pas accès. Parce que moi, je basculais au-delà des limites qu'on avait définies même si je le niais et, peu fier de moi, je cherchais à savoir si de son côté la même tension régnait. Je taisais aussi les piques que me lançaient mes potes, car je passais ma vie le téléphone à la main.

     Je ne lui mentais pas sciemment. Je craignais que verbaliser les difficultés de mon quotidien ne m'oblige à les affronter, moi qui pour le moment m'appliquais surtout à les apaiser sans les régler. J'avais aussi peur qu'elle s'éloigne, nos discussions avaient trop d'importance pour que je prenne ce risque. Discussions, tu parles ! L'évidence était là... Je tenais à elle plus que de raison, mais ça jamais je ne l'aurais avoué à l'époque.

     Le Mouh naquit une fois cette étape franchie. Lorsque je l'avais imaginé, il était juste un substitut au bisou que je trouvais trop banal. J'avais voulu un mot rien que pour elle, un mot spécial pour une fille hors du commun. Puis, ce Mouh avait évolué avec nous. Utilisé tantôt pour diffuser de subtils nuages de tendresse, tantôt pour faire passer la pilule quand l'un contrariait l'autre. Mouh avait acquis tellement de sens avec le temps...

Tout pour ElleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant