L'enfant maudit

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    Mon identité m'échappe, perdue dans les méandres de mon esprit tourmenté. Dans ce prétendu hôpital, je suis affublé d'un sinistre surnom : "l'enfant maudit", tant ma réputation est funeste. Hélas, ce lieu n'a de charitable que l'apparence, et ne sert guère à prodiguer les soins nécessaires aux êtres comme moi, atteints de troubles dits mentaux, mais plutôt pour s'en débarrasser, comme un chat que l'on abandonnerait sur le bord de la route, dans l'ignorance du public qui pense qu'ils prennent soin de nous, que nous sommes entre de bonnes mains. Ce ne sont que de trompeuses illusions, financées par le gouvernement, qui s'enrichit lorsque nous nous endettons, qui sourit à notre misère comme un commandant en guerre ; c'est à se demander qui est le fou dans l'histoire.

    A leurs yeux, je suis une menace, un fardeau dont ils aimeraient se débarrasser ; ils n'ont pas nécessairement tort de le penser, je suis voué à mourir ici sans rien n'avoir vécu. En effet, ce n'est pas demain la veille que je sortirais de cet endroit ; ce lieu est si vide qu'il s'apparenterait à une prison, si ce n'en était pas une, si vide que l'on pourrait se croire en plein cauchemar. Les murs sont d'un blanc si aveuglant que je vins parfois à me demander si tout ceci est bien réel ou si je suis plongé dans un songe éveillé ; il m'arrive même de penser que tout ce que je vis n'est que le fruit de mon imagination et que ma mère va, d'une seconde à l'autre, me réveiller en hurlant. L'odeur astringente des produits ménagers, à laquelle je me suis habitué, sature l'air, règne en maître dans la pièce et conserve l'état second dans lequel je me trouve constamment. La lumière vive qui filtre par la fenêtre lors des chaudes journées d'été me fait souffrir le martyre ; elle a pour cause de me donner un mal de crâne tel que j'ai la sensation que mon corps est aspiré par les enfers ; la chaleur me prive de toute hydratation et mon épiderme, en contact avec le métal ardent de mon assise, a pour cause de me brûler la peau : ce pourquoi je déteste l'été. Mais, "souffrance" ne fait plus partie de mon vocabulaire ; que ce soit physiquement ou mentalement. Il n'y a plus que la haine qui m'anime, une colère, qui bouillonne en moi comme une lave incandescente.
Une chaise, un lit et une armoire vide ; c'est tout ce qu'il se trouve dans cet espace si étroit.

    Je suis enfermé dans une étrange routine, coupé du monde et entouré d'une ambiance lugubre. Les seules visites que je reçois sont celles des infirmières, qui entrent et sortent tels des spectres, vêtues d'un habit protecteur pour me servir des plats insipides et empoisonnés par quelques tonnes de médicaments en tout genre.
Je suis ligoté à la chaise, bâillonné : mes mouvements alors radicalement limités, tandis que mes nuits sont rythmées par les entraves d'un lit aussi confortable qu'une dalle de béton, et les somnifères qui m'assomment pour m'empêcher de troubler la quiétude de mes geôliers.
Le monde qui m'entoure est flou, indistinct, comme si je voyais à travers un voile opaque : le nirvana est ma deuxième maison. Perdu dans mon cercueil de folie, il n'est donc pas nécessaire de préciser que je suis devenu complètement fou ; du moins, plus que je ne suis supposé l'être.

    Depuis que je suis coincé entre ces murs austères et aseptisés, le seul paysage que je connaisse est celui à travers la fenêtre de cette pièce. Il s'y trouve un grand parc verdoyant et fleurit, qui autrefois, m'apaisait peut-être ; il me rappelait les fleurs que cultivait maman : ses lis bleu-violet qui m'enchantaient souvent. Il m'arrivait même de l'imaginer, en train de caresser les doux pétales avec tendresse, comme elle avait l'habitude de le faire. En revanche, je ne me souviens plus de son visage ; ce visage qui n'a pas été là lorsqu'ils m'ont privé de ma vie, et que je n'ai plus jamais revu depuis.

    Mais un jour, alors que je flottais dans l'océan de la monotonie, que la fatigue et le quotidien se tenaient la main, que seul le silence me tenait compagnie, elle s'est matérialisée devant moi. Elle, c'est cette fille aux cheveux argent.

La fille aux cheveux argentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant