Me voilà orphelin. On espère que ces moments ne viendront jamais mais ils viennent quand même. Avec le temps, il ne restera bientôt que les souvenirs heureux de papa. Durant cette semaine de chagrin et en préparant ce texte, de nombreux moments de ces 50 années passées à être son fils me sont revenus en mémoire. Je pense aussi à maman, ils étaient tellement unis et indissociables, je me souviens des moments de bonheur passés en famille, du long chemin parcouru ensemble et que nous allons prolonger, nous leurs enfants et leurs petits-enfants.
Papa, lui, s'est toujours souvenu de sa campagne, de la Margeride de son enfance à la ferme familiale de La Bouquellerie, des journées à garder les vaches, des trajets à pied vers l'école, de l'odeur des foins, du lait qu'on boit tout chaud après la traite. Dans le livret des élèves de l'Ecole Normale à Aurillac, à la fin des années 50, la présentation de papa mettait en avant ses chères montagnes, y était inscrit « Il nous vient des lointaines margerides, ce camarade sérieux, sensible ». Cette Margeride, il ne s'en est jamais bien éloigné, en regardant la crête depuis la fenêtre de la cuisine à Saint-Flour.
De cette enfance au grand air est née une passion pour la nature, le vivant, la géologie, les fleurs, passion qui aura duré jusqu'au bout de sa vie. Même lors de ma dernière visite à l'hôpital, alors qu'il était très fatigué, il a su reconnaitre et nommer au premier regard les lys martagons dont je lui montrais la photo. Les fromageous de l'enfance ont pris un autre nom, sont devenus des fruits cénocarpiques de malva alcea, la Margeride s'est révélée être un horst granitique ayant engendré du métamorphisme en périphérie mais ces nouvelles connaissances n'ont jamais supplanté celles de l'enfance paysanne.
La nature, il en a fait son métier, de professeur de sciences naturelles, passionné et désireux de transmettre sa passion, avec un enseignement de qualité, selon les rapports d'inspection, basé sur l'observation, incitant les élèves à réfléchir et à participer activement. C'est aussi le souvenir que je garde de ses cours. Il a même repris des études pour finalement obtenir à 50 ans, une licence et le CAPES, lui l'élève de La Besseyre qui parlait patois avant d'entrer à l'école, diplômé du certificat d'études primaires élémentaires à 14 ans, poussé par des instituteurs engagés, diplômé ensuite de l'Ecole normale et devenu « PEGC ».
Il a gardé jusqu'au bout cet amour de la campagne de son enfance. L'an dernier, nous avons encore randonné et tenté une dernière fois d'ébranler la pierre branlante de Saint-Marc.
Du jardin de Saint-Flour, dans lequel j'ai joué pendant des heures, il nous restera des images de son bon beau massif de fleurs, nous en avons amené quelques-unes pour cette cérémonie. Les lys viennent de faner, les œillets se flétrissent, peut-être à la nouvelle du départ de papa, mais les pommes de terre qu'il avait dû oublier l'an dernier produiront encore cette année, symbole de la vie qui va continuer.
Maman lui avait transmis une autre passion, celle des voyages, de la découverte, elle me l'a transmise aussi. Papa était toujours partant, que ce soit pour faire une simple ballade sur des chemins mille fois parcourus ou pour voyager à l'autre bout du monde.
Pleins d'autres souvenirs me reviennent, il fut mon plus grand supporter quand je portais le maillot orange et noir et que nous parcourions la région et le département.
On garde tous le lui je crois, et les témoignages reçus ses derniers jours le confirment, l'image d'un homme humble, d'une grande humanité, plus préoccupé par les autres que par lui-même, toujours prêt à rendre service. Il a eu la chance de pouvoir faire tout ce chemin grâce à sa famille qui l'a soutenu, grâce à des instituteurs. A son tour il a toujours tendu la main.
Une anecdote m'est revenue de vacances dans les Landes à la fin des années 80. Au cours d'une promenade en vélo avec maman, ils avaient trouvé 1500 Francs tombés par terre dans un fossé. Sans aucune hésitation ils ont amené l'argent à la gendarmerie, l'étourdi s'est trouvé être un jeune homme qui avait semé en route sa première paye de batelier et qui reconnaissant, les avait invités à faire une balade sur le courant d'Huchet. Une autre anecdote : en 1998 l'inspecteur d'académie lui a proposé de lui confier la mission rémunérée de conseiller pédagogique auprès d'un jeune collègue en difficulté, il a répondu qu'il était très honoré, qu'il ne sentait pas avoir les capacités de conduire cette mission mais qu'il était tout-à-fait disposé à donner bénévolement un coup de pouce au collègue en question.
Dans les années 80 il a enseigné la « découverte du monde professionnel » à une classe d'élèves en échec scolaire, s'impliquant fortement pour aider ces adolescents et les préparer à entrer dans la vie professionnelle, multipliant les visites des entreprises locales.
Avec le secours populaire il a contribué à aider bien d'autres personnes, il n'en tirait pas de gloire, n'en parlait pas, c'était naturel. Maman se plaignait même un peu que pour lui tout le monde était beau et gentil et qu'il risquait de se faire avoir.
Ses derniers mois à passer d'un hôpital à un autre ont dû être difficiles moralement mais ce qui le préoccupait le plus était de ne pas nous embêter, de ne pas prendre notre temps. Fidèle à lui-même, il n'a pas informé ses amis ou bien il leur disait qu'il allait bien.
En retour, beaucoup l'ont soutenu, surtout après lamort de maman, le véhiculant, lui proposant des randonnées, l'amenant déjeunerou revoir la maison ou l'école de son enfance, prenant de ses nouvelles,l'amenant assister à un dernier meeting politique. Je veux les remercier etpapa leur aurait volontiers dédié la chanson de Fugain que nous allons écouter.