Marie était enseignante. Elle ne voulait pas être dans le sentimentalisme, se sentir obligée de se justifier: "j'aime mes élèves, et voir leur visage s'illuminer quand ils comprennent quelque chose.", une main sur le cœur et un sourire niais sur le visage, véritable fondant au chocolat, vous savez, celui qui écœure à la première bouchée. Marie était enseignante car elle se devait de l'être, à fin qu'un prof, au moins un, s'occupe d'apprendre la confiance en soi, les symptômes de la dépression, de dire que sourire n'est pas la bonne solution, de dire qu'on est tous différents, que c'est pas la peine d'haïr, que ça servira à rien. De dire à des ados en pleine construction que, non, contrairement à ce que la conseillère d'orientation a put dire, elle pense que leur avenir n'appartient qu'a eux, et que si ils y croient vraiment, ils ne doivent pas avoir à se soucier des profs et des parents. De leur dire qu'un test de personnalité ne les résument pas, et que, l'avis des autres, il doit passer par dessus leur tête, pas rester et les torturer. Leur dire que c'est pas facile, mais qu'on y arrive.
Elle était drôle Marie, c'était une femme forte, prof de français dans un collège de cons, elle se battait pour dire, pour crier aux élèves qu'ils devaient ouvrir les yeux, qu'y'en avait plein, des pas comme eux. Souvent, on finissait pas le programme, elle gaspillait des cours pour nous raconter la vie et ses embûches. Ça faisait râler les parents, "ils ne seront jamais prêts pour le brevet" mais c'était pas grave, ça nous dérangeait pas de rater le brevet, si c'était pour l'écouter parler, nous expliquer la paix et la perruque de Donald Trump, la philosophie de vie d'Einstein et le site vitemonprénom.com.
Sa sonnerie, c'était Les anarchistes, de Leo Ferrer. Je me souviens, on avait ris la première fois qu'on l'avait entendue. On ne comprenait pas bien les paroles, on retenait juste le coup de trompette et de tambour, qui faisait un peu militaire. Mais un jour, elle a laissé sonner. On a écouté tout le premier couplet, et on a demandé la suite. Cette chanson était magnifique, mais, quand je l'ai chantée à la maison, ma mère m'a fait les gros yeux, on ne parle pas politique ici, et on la chante encore moins, tu es trop jeune pour comprendre, elle m'avait dit. J'avais répondu que, si on ne parlait pas politique, ils n'avaient aucune idée de pour qui ils votaient, elle m'a giflée.
Marie, on la tutoyait. Si on l'appelait par son nom, elle faisait pareil pour nous, elle disait que c'était ça, l'égalité, et pas un mot sans profondeur qu'on avait mit sur les établissements publics parce que ça faisait joli, tape à l'œil. Si il y avait une chose qu'elle n'aimait pas, c'était la devise de la France. Liberté, égalité, fraternité, elle disait qu'on était dans un bon pays d'hypocrites, mais là c'était trop, on se voilait la face à jouer les bons petits Saint-Maritains, mais qu'il n'y avait rien de plus faux que cette phrase.On échappait aux contrôle de papiers mais on voyait des passants y passer à cause de leur look ou de leur couleur de peau, et on se disait dans un pays prônant la liberté. On savait que le don de sang était interdit pour les homosexuels jusqu'en 2019, et on disait égalité. On voyait des personnes se faire attoucher sans lever le petit doigt, et on appelait ça fraternité.
Elle est partie Marie. Elle n'a plus le droit d'exercer. Suite aux plaintes des parents, une enquête a été ouverte, et il en est sorti qu'elle endoctrinait les jeunes, mot compliqué pour dire qu'elle nous manipulait. Pour nous, c'était la seule qui était vraiment prof, la seule qui se souciait de nous. Mais ils pensaient différemment. Mes parents ont vus cette année comme une épreuve pour moi, comme j'ai dû souffrir. Mais, pour moi, elle m'a donné des ailes Marie, et je compte bien m'en servir.
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liberté, égalité, fraternité- OS
RandomMarie était enseignante. Elle nous apprenait la vie, et l'idiotie de notre monde. La perruque de Donald Trump et les anarchistes de Leo Ferrer.