CHAPITRE 1

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Il n'était pas tard, mais le soleil commençait déjà à décliner, laissant ses derniers rayons colorer les rues animés de Trawl City en cette fin d'automne.

À cette heure-ci, la ville changeait de couleurs. Alors que les commerçants saluaient leurs derniers clients, ces derniers se divisaient en deux groupes, ceux qui s'engageaient sur le chemin retour et ceux qui s'autorisaient encore quelques instants de détente, sûrement dans un des nombreux bars qui se trouvaient dans l'ancien quartier industriel, là où tous les désirs étaient réalisables. Beaucoup de rumeurs circulaient quant à cet endroit, mais combien étaient vrais ? Si les plus courageux - ou les moins prudents - osaient s'en approcher, seuls ceux qui étaient invités savaient réellement à quoi pouvait bien ressembler cet endroit.

Toutefois, ce n'était pas du quartier industriel et de ses activités illégales dont il fallait se méfier, loin de là, car à Trawl City, le danger se trouvait à chaque coin de rue. Il n'était plus possible de faire confiance à quoique ce soit, même pas à sa propre famille. Un seul appel et tout pouvait changer, pour le bien comme pour le mauvais. S'ils ne contrôlaient pas directement la ville, contrairement à ceux qui logeaient dans ces immenses buildings qui empestaient la corruption et le sang, ils étaient plus actifs que jamais dernièrement, mais n'en restaient pas plus simple à appréhender. Quant bien même ils savaient se dissimuler à la perfection parmi les habitants de la ville, ils veillaient de temps en temps à laisser une trace de leurs passages, le genre de traces qu'il valait mieux ne pas ignorer et, dernièrement, ils ne manquaient pas de se faire remarquer.

Il n'était pas tard, mais les Veilleurs étaient déjà de sortie.

Le travail était terminé, il le savait, mais il ne ressentait pas l'envie d'arrêter, alors il frappa à nouveau. Plus les secondes passaient, plus il se mettait à taper fort. C'était de l'acharnement pur et dur, mais il n'en avait rien à faire, enfin, il n'en avait plutôt pas conscience. C'était presque comme si son corps était programmé qu'à ça, ne répondant qu'a l'appel de toujours plus de violence. Certains le décrivaient comme un chien enragé tandis que d'autres parlaient d'un fou furieux, mais peu importe la manière dont on parlait de lui ou encore les surnoms qu'on pouvait bien lui donner, tous s'accordaient pour dire qu'il était terrifiant.

Alors qu'il s'apprêtait à frapper une énième fois le corps inerte de l'homme qui l'avait supplié quelques minutés plus tôt, une voix retentit derrière lui.

- Mousse.

L'homme se stoppa immédiatement avant de se redresser bien droit, comme s'il avait perdu toute envie de se défouler,, les bras le long de son corps, les yeux plantés sur l'une des tâches de sang proche du visage méconnaissable de celui qu'il venait de tabasser. Celui qui venait de l'interpeller lui passa, tout en veillant à bien le dévisager avec condescendance avant de se planter devant le corps de la troisième personne qui se trouvait dans ce coin de rue. Il s'accroupit près de l'homme inconscient, puis attrapa ses cheveux fermement afin de lui faire lever la tête de force de sorte à voir son visage. Il se mit à l'observer et à le comparer à une photo qu'il avait sorti au préalable de son carnet abîmé. Après quelques secondes, il hocha la tête en même temps qu'il relâcha sa prise, laissant l'homme s'écraser à nouveau sur le sol goudronné. Malgré le nez cassé, les paupières boursouflées et les quelques dents en moins, la ressemblance était flagrante : c'était l'homme recherché.

- C'était qui avec ? demanda-t-il au dénommé Mousse qui n'avait pas bougé d'un cil depuis son arrivé.

Le concerné jeta un bref coup d'œil vers les deux autres hommes inconscients avant de hausser les épaules, signifiant qu'il ne possédait pas la réponse à sa question, ce qui fit soupirer son aîné. Après avoir nettoyé ses mains sur les vêtements du fameux Christoph, son téléphone se mît à sonner.

- Artic, j'écoute, dit-il une fois le téléphone coincé entre son épaule et son oreille. ... Ouais, c'est bon... un peu amoché, mais il est encore en vie, mais pour combien de temps, ça, j'en ai aucune idée.

Quelques secondes passèrent pendant lesquelles Artic écouta en silence ce qu'on avait à lui dire, hochant la tête de temps en temps, son regard rivé sur Mousse qui n'avait pas bougé d'un millimètre depuis son arrivé. Contrairement à ce dernier, Artic n'était pas bien grand et le long manteau noir qu'il portait ne jouait pas en sa saveur, d'autant plus que sa grosse écharpe rouge venait accentuer la maigreur de son visage pâle, presque limpide. Il avait l'air fatigué, voir même malade et la manière dont il toussait fréquemment ne faisait que renforcer cette impression.

Du haut de son mètre 94 et de ses 102kgs, Mousse ne passait pas inaperçu. Sa peau légèrement bronzé était jonchée de cicatrices en tout genre qui s'étaient accumulées au fil des années, mais certaines étaient toutes fraîches, comme celle sur son nez tordu ou celle juste au dessus de son oreille gauche à moitié déchirée. Ses cheveux étaient d'un noir semblable à celui d'une nuit sans lune ni étoiles, coupés de sorte à ce qu'ils lui tombent légèrement sur le front, tout en étant légèrement dégradés à l'arrière. Si son physique était effrayant, la neutralité que son visage abordait en continu, peu importe la situation dans laquelle il pouvait se trouver, l'était encore plus. Il suffisait de poser son regard sur lui pour se sentir mal à l'aise.

L'appel terminé, Artic rangea son téléphone au fin fond d'une de ses poches de laquelle il sortit une cigarette cabossée qu'il coinça au coin de ses lèvres gercées. Il l'alluma d'un geste automatique qui trahissait une profonde addiction à la nicotine, puis recracha la première fumée dans le visage du plus jeune.

- Mousse.

Sans détendre sa posture, il tourna la tête en direction de son coéquipier jusqu'à pouvoir planter ses yeux ambrés dans les siens tout aussi clairs. Il ne répondît pas et se contenta de le fixer en silence, comme s'il l'invitait à continuer.

- Combien de fois va falloir que je te le répète..., grommela Artic en se pinçant les sourcils, visiblement agacé. T'as un putain de couteau planté dans la cuisse.

Toujours sans montrer la moindre réaction, Mousse se mit à observer ses cuisses, donnant un coup d'œil à droite, puis à gauche avant de se pencher en avant pour essayer d'y voir de plus près. Ce drôle de ménage ne dura qu'un court instant, mais pour Artic, il parut sans fin. Son analyse terminée, Mousse releva la tête, puis se remit à regarder son aîné, dont la cigarette avait déjà raccourci de moitié.

- Je ne le vois pas, rétorqua Mousse, toujours aussi calme.

- Bouge pas, grogna le plus âgé, clairement épuisé par cette situation.

D'un geste rapide, Artic retira le couteau qui se trouvait juste au dessus de la hanche gauche de son coéquipier, quelque peu caché par sa doudoune noire. Il observa la lame tachée à la lumière du soleil déclinant, non pas émerveillé par la teinte du sang pesant dessus, mais plutôt par l'incapacité de son coéquipier à se gérer tout seul. Mousse était atteint d'une maladie qui l'empêchait de ressentir la douleur, ce qui s'avérait être plutôt pratique en ces temps de difficile. Toutefois, ce n'était pas parce qu'il ne souffrait pas qu'il était immortel.

- On a rendez-vous au Duck Paradise, souffla Artic après s'être débarrassé du couteau qu'il venait de récupérer. Je connais pas tous les détails, mais si le patron m'a demandé de te prendre avec moi, c'est qu'il y a de grandes chances pour qu'il faille faire un peu de ménage.

Alors que Mousse était occupé à tâter sa cuisse à la recherche de sa blessure, laissant l'apparition progressive de sang sur ses doigts le guider, Artic se chargea d'envoyer sa localisation à la personne chargée de la collecte des corps.

- On attend pas le ramassage ? demanda le plus jeune après s'être redressé en voyant son aîné se mettre en mouvement.

Artic lui répondît d'un geste inintéressé de la main, visiblement pressé de terminer cette journée de travail. Mousse lui emboîta le pas en silence, bien moins touché par l'annonce de cette nouvelle mission, car, contrairement à son coéquipier, il ne savait pas à quel point son corps pouvait être fatigué.

SCN(X)AOù les histoires vivent. Découvrez maintenant