Le matin n'est pas encore levé pourtant les lumières de la nuit se sont déjà échappées. Par la fenêtre, le vent s'acharne et emmène dans sa course les feuilles mortes et brunies de l'automne. Le café chaud se fait sentir, il brûle la langue. Le quartier semble calme, plein de luxure et d'hypocrite. Il entame sa biscotte, une expression neutre, un habit terne. la buée plonge dans ses lunettes, lui qui était déjà dans le brouillard. La buée se lasse de ses verres et fuit la pièce. Se lever, tirer la chaise, un coup d'éponge sur la table, et quelques miettes sur le sol, "merde". Un registre grandissant de la langue française, ll'élégance de ses mots, et la seule chose qui lui arrache la bouche est "merde". Des mots triviaux. La tasse se lève aidée par une main squelettique et blafarde, elle ne manque pas de se détruire en explosant par petits morceaux aléatoires de porcelaine, dans l'évier pleins de vaisselles de la veille.
L'ignorance fait de lui un trait de caractère ma foi, intriguant. Sa marche penaude, le dos courbé, le pas traînant, et la tête en avant et en arrière sur un rythme long. Tac. Tac. Tac. Une régularité à donner des frissons. Le mollasson se déplace si lentement que celui qui voudra le regarder aura du mal à respirer. La boule lumineuse fuyarde clignote dans la pièce, le salon n'est aménagé que par un divan gris et sale, on peut humer son odeur rien qu'en y jetant un coup d'œil. Une télévision datée trône devant ce dernier, elle grésille. La silhouette maigrichonne de cet animal s'avance à presque en shooter le poste. Les yeux reflètent l'écran, ces miroirs vitreux sans vie. Je le vois, je le vois. Je le vois !
Dans le quartier, les trottoirs s'émiettent, ils sont goudronnés maladroitement et les remontées des égouts se baladent ici et là, partant du caniveau aux narines bouchées des premiers rhumes. Un bruit de paille contre le sol arracherait les oreilles d'un sourd. Un balais en mouvement, une pendule comme comparant, des doigts vieillis en sont aux commandes. La touffe grise de cette vieille reflète un sentiment d'angoisse. Elle est vêtue de vêtements mouillés, et les gouttes lourdes tombent en quinconce sans un bruit. Elle se déplace avec fluidité, ses pieds ne touchent presque pas le sol, la gravité l'a abandonnée. Soudainement elle lève lentement son cou fripé et ses yeux tombants vers une porte. Jusqu'à ce qu'elle soit recouverte d'une ombre de fois plus grande qu'elle, elle s'arrête de faire le ménage. Notre bon monsieur, fade et flasque, la regarde, ses yeux encore engouffrés par ces grésillements télévisuels, la bouche béante. "Je comprends, tu es prêt." L'homme s'allonge sur le goudron fraîchement balayé et se roule en boule. "Dis le mot" - "Je le veux". Un rituel étrange vu de l'extérieur, quelle est cette cérémonie glauque, à une heure où le coq dort encore?
La vieille lève son balais au-dessus de sa tête fripée, et d'un coup d'un seul, elle envoie l'outil ménager d'une vitesse qui fait voler toutes les natures mortes présentes autour d'elle. L'homme ferme les yeux, les sourcils baissés attend. Le balais lui traverse le corps, une grande lame aiguisée qui renvoie de l'autre côté un nuage de fumé noir.
La balayeuse de rue qu'on l'appelait. Tout prend sens lorsqu'elle disparaît lentement dans le brouillard de la rue.