L'entretien d'embauche

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        Hubert était plutôt mal à l'aise. Il se tenait assis en face de M. Journeau, un vieil homme décrépi dont la ressemblance avec un vieux tapis était plutôt saisissante, et faisait tout son possible pour paraître détendu. Seulement, l'entretien durait depuis maintenant trois heure et il commençait à avoir sérieusement mal au derrière. Tandis qu'il gesticulait sur sa chaise en quête d'une position confortable, M. Journeau leva les yeux de la liasse de papiers qu'il examinait soigneusement et déclara :

        - Monsieur Pouchon, j'avais quand même une petite question : Quelles sont vos motivations ? Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de venir travailler chez nous ?

        Hubert se redressa, fixa son interlocuteur l'air hébété durant quelques instants avant de se reprendre. Il s'éclaircit la gorge :

        - Hum ! Eh bien... euh... j'ai deux petites filles et, à vrai dire, c'est surtout pour elles que je désire obtenir ce poste, vous savez... euh, j'aimerais être un héros à leurs yeux... Et puis, je suis très fan de l'uni...

         - Je vois, je vois... l'interrompit l'autre tandis qu'un sourire satisfait éclairait son visage.

        Hubert paru soulagé. Il n'avait pas eu besoin de préciser certains détails compromettants comme le fait qu'il avait choisi cette annonce uniquement parce qu'aucun CV n'était requis. En effet, cela eût été peu reluisant de devoir mentionner son état actuel, c'est-à-dire "au chômage"... et depuis huit ans. Jusqu'à présent ça n'avait pas vraiment posé de problème, sa femme Henriette travaillait comme avocate lors d'importants procès et ses revenus suffisait à faire vivre la petite famille. Mais  voilà, il y a quelques mois de ça, Henriette était tombée sous le charme d'un criminel jugé pour son implication dans un règlement de compte meurtrier qui avait eu lieu trois ans auparavant, un certain Philippo Cormusa, un trafiquant de drogue italien, dont elle avait la charge de la défense. Elle avait alors demandé le divorce pour pouvoir épouser son nouvel amant à sa sortie de prison. C'est pourquoi Hubert avait dû se résoudre à trouver un travail. Il avait écumé les petites annonces, jour après jour, jusqu'à tomber sur celle-ci. Il se retrouvait donc là aujourd'hui, le derrière vissé à sa chaise, tentant de répondre du mieux qu'il le pouvait aux questions du petit homme sec et chauve qui faisait office de recruteur.

        - Bien, nous y sommes presque ! J'aurais aimé savoir une dernière chose, Monsieur Pouchon, avez-vous de l'expérience dans le domaine de la vente ?

        Hubert eut un petit sursaut de panique :

        - Dans... dans le domaine de la vente ?

        -Oui, c'est cela même.

        De grosses gouttes de sueur se mirent à perler sur le front du pauvre homme. Il lui sembla même que tout son cuir chevelu s'humidifiait. Bon sang, il ne pouvait pas échouer si près du but ! Seulement, Hubert n'avait jamais rien vendu... Il fouilla et retourna chacun de ses souvenirs, en vain. À moins que... oui, ça pouvait marcher !

         - Eh bien... il me semble avoir déjà participé à une braderie.

         Il avait bien pris garde à ne pas mentionner le fait qu'il avait cinq ans ce jour-là. Ses parents tenaient un stand de poignées de porte, et ils n'avaient rien vendu. M. Journeau eut une drôle d'expression puis finalement, un sourire éclaira son visage. Il se leva et vint serrer la main d'Hubert, toute poisseuse de transpiration. Il s'essuya discrètement tout en annonçant :

        - Parfait ! Monsieur Pouchon, enfin Hubert... je peux vous appeler Hubert n'est-ce pas ? Ce poste est à vous ! Marie-Louise va vous montrer votre costume, vous commencez demain matin près du carrousel ! C'est bon pour vous ?

         - Ou... oui ! répondit l'autre, la voix rendue tremblante par l'émotion.

        Hubert se dirigea vers la porte en vacillant et salua son nouvel employeur avant de sortir. Marie-Louise, la secrétaire, l'attendait dans le couloir.

        - Alors, c'est vous la nouvelle recrue ?

        - En effet, je me nomme Hubert Pouchon, enchanté mademoiselle.

        Il avait retrouvé toute son assurance et rayonnait de bonheur à l'idée que pour la première fois depuis huit ans, il allait travailler. Marie-Louise lui rendit son sourire.

        - Et bien, Monsieur Pouchon, bienvenue à Disneyland ! Suivez-moi, je vais vous montrer comment faire fonctionner la machine à barbe-à-papa, la manivelle est cassée alors c'est un peu délicat...

L'entretien d'embaucheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant