Blue-Blood

King and Crown

Les vitres de la voiture sont teintées. Je m'accorde sept minutes de répit loin des hurlements, des pleurs et des journalistes. Je ferme les yeux un instant mais cela ne permet pas à mon cœur de ralentir. Au contraire, il bat plus fort et plus vite à mesure que les kilomètres défilent sur le compteur. Je sens le regard du chauffeur sur moi à travers le rétroviseur intérieur. Je suis mal installée, la robe est imposante et ne me permets pas de m'assoir convenablement.

Sur le trottoir, des milliers de personnes applaudissent et m'acclament quand la voiture passe devant eux. Ils brandissent des drapeaux et des panonceaux avec des messages dessus. Certains sont presque nus alors que d'autre sont bien couverts. Il faut dire que les températures affichées sont bien en dessous de celles annoncées par les météorologues. Nous sommes à moins de dix jours de la nouvelle année et dans quelques heures ma vie va complètement changer. Certes, elle a déjà basculé il y a quelques années mais cette fois, tout est programmé. C'est définitif. Il reste moins de quatre minutes. La voiture avance à allure lente, elle parade, défile.

J'imagine déjà la retranscription sur toutes les chaînes nationales et internationales et que dans vingt ans on en parlera dans les manuels scolaires. Nous serons en fête sur plusieurs jours et les jours suivants seront surtout des visites officielles. Tout est réglé comme du papier à musique pour au moins l'année à venir. L'improvisation n'a pas sa place. A mes côtés une boîte de mouchoirs est posée au cas où. J'en tire un et essuie mes mains moites et tapote légèrement mon front pour éviter la catastrophe. Je suis désormais à moins d'un kilomètre de mon avenir. Je mets les gants blancs qui épousent à la perfection mes doigts. Un joli nœud enserre mes poignets. Je positionne bien le châle sur mes épaules, évite les plissures et lisse les pans de ma robe. La voiture ralenti la cadence pour finalement s'arrêter en douceur. Le chauffeur regarde dans son rétroviseur.

« Vous êtes prête ? »

Je regarde le bâtiment à ma droite dont seule la lourde porte m'intéresse ou plutôt ce qu'il y a derrière. J'inspire une dernière fois et hoche la tête. Le chauffeur sort alors. Il fait le tour de la voiture pour venir ouvrir la porte passager arrière. Je ne peux plus faire marche arrière et puis de toute façon je n'en ai pas envie. Je me tourne, comme on me l'a appris et pose un premier pied sur le sol, puis le second. Je m'extirpe de la voiture avec un peu d'aide. On m'appelle, on hurle même mon prénom, les appareils photos crépitent. Je souris légèrement. Mon père se place à mes côtés et me tend son bras que j'attrape.

« Tu es magnifique ».

Je le remercie en resserrant ma prise sur son biceps alors qu'il me conduit vers une autre vie.

Avant que je ne continue de vous raconter cette journée, je vais vous confier comment j'en suis arrivée là. Pour cela, il faut remonter dix ans en arrière. J'étais jeune, à peine vingt ans et étudiante.

Si je me souviens bien tout avait commencé à partir d'un message. J'étais dans les couloirs de l'école quand j'avais reçu une notification sur mon téléphone m'indiquant un message entrant. De mémoire, ma meilleure amie m'incendiait car j'avais de nouveau repoussé les avances d'un garçon qui « avait tout pour plaire ». Ce jour-là j'allais faire LA rencontre sans savoir que ce serait LA rencontre. Je me rappelle m'être inscrite à un débat sociétaire organisé par les profs d'anglais. Il y a eu des entrainements préalables et aujourd'hui était le grand jour. J'avais pris place devant. Les professeurs étaient déjà en place pour nous accueillir. Ils nous ont expliqué le déroulé du débat et ont fait entrer un inconnu dans la salle. Un Britannique. A partir de là, je n'ai plus rien contrôlé.