Premier et seul chapitre

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Il ouvrit les yeux et écouta, ainsi commença une énième journée dans la maladie. Il scrutait chaque bruit extérieur. Ces bruits le tenaient vivant et l'occupaient. De suite il reconnut les bruissements des feuilles du chêne de la cour, peu après, le froissement du journal lancé rebondissant sur la porte des voisins se fit entendre. L'homme en déduit qu'il était huit heures, d'ailleurs dans les profondeurs de la ville se levèrent les graves soupirs du clocher. L'aveugle en compta bien huit. Son ouïe perçu des aboiements, son chien s'impatientait, et ne demandait qu'à être sorti dans la brume matinale qui donnait des allures célestes au petit bourg. Doucement. Sûrement. Une jambe. Deux jambes. Il était debout et tâtonnait le mur à la recherche de sa canne. D'avoir si souvent observé de ses mains ce petit bout de mur, il en connaissait chaque crevasse, chaque brève boursouflure, le moindre petit défaut... . Il calculait, après la cinquième difformité du mur, il trouva sa canne. Avec celle-ci il s'avança prudemment jusqu'à son armoire. Trois pas. Il sortit tout ce dont il avait besoin et en s'habillant retourna à sa principale occupation. Écouter. Écouter tout ce qui l'entourait. Il perçut des éclats de voix chez sa voisine cette fois. Sa fille serait à nouveau rentrée tardivement la veille. Le bourdonnement de la clôture du fermier se mît en marche suivi des beuglements et des tintements des cloches des vaches. Elles se pressaient vers leur petit bout de liberté. Soudain le grésillement des poteaux téléphoniques qui longeaient la rue se fit plus fort. Cela signifiait qu'un appel au loin avait lieu dans le voisinage.
"Alors ton séjour est-il comme tu l'espérais ? Ensoleillé et verdoyant ?
- Tu ne peux imaginer, c'est d'une beauté sans nom !
- Tu penses y rester plus longtemps que prévu ?
- Non, les cultures sont bien trop différentes et je me réjouis de rentrer rien que pour vous voir ! "
L'aveugle sourit, il aimait ces petites discussions fictives qu'il inventait dés que les lignes grésillaient. Cela lui permettait de voyager vers de contrées inconnues pendant quelques secondes. Voyager. Inimaginable. Il n'avait jamais mis le pieds hors du pays. Son infirmité ne le lui permettait pas. Il termina la boucle de ses lacets et chemina jusqu'à la cuisine. Ici et là une planche du parquet gémissait sous le poids du vieil homme. Arrivé à la cuisine, il fut accueilli par des jappements heureux du chien qui était fou de joie de voir son heure de sortie approcher. L'homme le caressa et chercha de ses mains les croquettes afin de remplir la gamelle que le chien venait de pousser vers lui. Il se releva et s'assit sur la première chaise qu'il trouva. Il patienta un instant, écoutant les claquements de mâchoires de l'animal.
Un moteur. Une voiture étrangère du quartier. Un ronflement trop moderne à son image. Il repensa au racontars de sa voisine, elle avait entendu dire qu'un avocat résiderait dans l'appartement au bout de la rue. L'aveugle se nota d'aller lui souhaiter la bienvenu. Quand il aurait le temps. Il avait toujours le temps d'habitude mais aujourd'hui était un jour important.
Enfin les cliquetis d'un vélo s'approchèrent de la maison. L'infirmière. À l'heure, comme toujours. Le vélo s'arrêta. L'homme écoutait le craquement du cadenas de l'aide soignante puis ses pas légers et glissés qui s'avançaient vers la porte. Il entendit le trousseau de clefs sorti du sac et peu après le battement de la porte et le petit grincement. Il compta trois secondes et ... :
"Bonjour monsieur Verneuil !
- Bonjour Nancy, à l'heure comme toujours !
- Ah mais vous êtes déjà prêt, cela fait-il longtemps que vous êtes levé .
- Non mais nous sommes jeudi.
- Ça m'était complètement sorti de la tête ! Bon je vais vous mettre vos gouttes et nous petit-déjeunerons."
Il en suivit un petit frottement sec d'un sac que l'on pose quelque part et des petits bruits de fouilles étouffés.
Après les gouttes et le petit déjeuner, l'infirmière sortit le chien en laissant à l'aveugle un petit livre écrit en braille. D'humeur peu lecteur il se plongea une énième fois dans le monde sonore qui l'entourait. Il surprit ainsi le doux bruit d'enfant jouant dans une flaque d'eau, il avait entendu la pluie battre son carreau la veille. D'après son ouïe il s'agissait d'une fillette et d'un petit garçon, les voix encore aiguës de la jeunesse se mêlaient au clapotis et ruissèlement de l'eau qui s'échappait dans les souterrains de la ville. Un léger bourdonnement retint son attention. Celui-ci semblait s'approcher et s'éloigner. Il s'agissait sûrement d'un insecte quelconque.
L'abeille. Un lointain souvenir. Pourtant clair et net. C'était la dernière chose qu'il avait vue avant de les perdre. Sa femme et sa fille. Et sa vue.
Il repensa au fracassement de la porte, au tapage des militaires sur la mosaïque de l'entrée. Il se remémora l'explosion, les cris et à ses côtés le dernier soupir empreint vit de sa femme. Il se rappela les détonations, et sa voix qui disait à la femme à ses côtés cachés avec lui :
"Je vais me rendre, ils ne vous trouveront pas, gardez mon enfant. Agathe... N'ai pas peur, je te retrouverais un jour. Je te le promets. "
Ensuite, non il n'y avait pas d'après tout s'arrêtait à cette promesse il ne voulait pas repenser à l'après.
Il sentait les larmes. Mais les ravala, d'autres avaient plus souffert.
La porte d'entrée claqua et Nancy arriva.
"Il est bientôt l'heure, êtes-vous prêt ? "
Des pétillements. Des clameurs. Ils étaient dans le parc. Les oiseaux s'égosillaient sifflotant des chants légers. Les enfants clamaient leur joie d'une voie qui traduisait la naïveté et la simplicité de ces petits êtres. L'infirmière et les bruits contaient, l'homme s'imaginait. Il s'imaginait tous ces rois couronnés de feuille s'élevant vers le ciel, ces fontaines grondantes, tonnantes et majestueuse, les innombrables appareils photo cliquetants et capturants, le lac et le vent chuchotant des histoires d'un autre monde.
Ils arrivèrent. l'aveugle le sût, il avait compté les ombres des arbres qui lui tombaient dessus pareils à un voile noir que l'on jette sur une source lumineuse. Nancy le lui confirma. Alors il se laissa enchanter par la douce tonalité qui venait de surgir dans ses oreilles. C'était la voie d'une jeune femme, une voie qui pouvait chanter, réciter, raconter, expliquer. Une voix douce et pleine de gaité. Une voix qui chuintait un peu sur certains mots. Une voix qui, très discrètement allongeait le son o. Une voix de professeur, qui aimait apprendre à la jeunesse la beauté de la nature. Une voix qui chevrotait sur la lettre P.
"Je vais bientôt vous laisser pour une petite demi-heure. Le détective m'attend pour les documents de votre fille afin qu'il la retrouve plus facilement
- Bien sûr Nancy faite, faite tout ce que vous avez à faire je ne bouge pas. "
Oui, il ne bougeait pas, face aux mille et une merveilles qui l'entouraient. Avec une seule qui comptait. Une seule qui l'importait plus que tout au monde. Une seule qui ne changerait jamais quand on la connaît comme un père.
L'aveugle en écoutant cette voix accomplissait une promesse qu'il avait faite.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 29, 2015 ⏰

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