Ario émergea, le visage encore bouffi de sommeil. Comme chaque matin, il n'avait pas le temps de déjeuner. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui, après tout il mettait toujours ses réveils trop tard pour pouvoir se préparer convenablement avant d'aller travailler. Malgré tout, il avait trouvé, dans ce fonctionnement quotidien, un rythme satisfaisant, comme une routine agréable. Il sortit du lit maladroitement, se dirigeant vers la salle de bain pour une douche salvatrice. Une fois plus alerte, il retourna dans sa chambre, attrapa au hasard quelques vêtements dans son meuble et se dépêcha de les enfiler tout en se dirigeant vers la sortie.
La porte de sa maison de ville donnait sur l'un des boulevards principaux qui permettaient de rejoindre le centre. Alors qu'il jetait un coup d'œil sur la façade de son domicile, il eut un petit sourire heureux. Il avait acheté cette petite maison sur un coup de cœur mais il ne le regrettait pas. Sa belle façade soignée, aux allures de quartier londonien, l'avait ravi à l'instant même où il l'avait vu la première fois. Des bordures blanches encadraient les fenêtres et celle donnant sur le salon était même avancée sur la rue, formant une oriel sobre. Il y avait installé des coussins et aimait se prélasser en contemplant l'extérieur. Le lieu était certes très passant. Mais cela n'enlevait en rien au charme de la rue et d'imposants platanes bordant la rue goudronnée donnaient un air champêtre revigorant. La proximité avec le centre était aussi un atout non négligeable. En à peine 20 minutes à pied, Ario pouvait être à son travail et il profitait de cette marche quotidienne pour s'aérer l'esprit . Le jeune homme se retourna en soupirant d'aise avant d'entamer sa marche le long des arbres.
Il arriva rapidement sur une rue perpendiculaire, dans laquelle les premiers immeubles faisaient leurs apparitions. Le soleil matinal se reflétait dans les vitres, illuminant le trottoir de milliers de reflets colorés dansant au rythme du vent. Ario s'imaginait là, les rayons du soleil percutant la surface d'un lac et changeant de variation à chaque clapotis de l'eau. Cette pensée lui amena du baume au cœur, lui rappelant quelques souvenirs de vacances. Sa ville était si belle. Il vivait ici depuis 10 ans déjà et il ne perdait pas son impression de grandeur lorsqu'il débouchait dans les rues pleines de vie.
Continuant de déambuler, Ario arriva dans le dernier boulevard, et repéra au loin l'enseigne de café habituel. Chaque matin, il s'arrêtait pour acheter un café et un brownie, petit déjeuner sommaire qu'il dégustait sur le reste du chemin le conduisant au travail.
— Bonjour ! Comme d'habitude ?
— Bonjour ! Vous me connaissez bien ! À emporter !
Il salivait déjà à la simple pensée de croquer dans son succulent gâteau. Tous les jours depuis deux ans maintenant il avait pris cette habitude et il n'y avait que rarement dérogé. C'était arrivé deux fois : lorsqu'il était malade et n'avait pu se rendre au travail et lorsqu'un grave problème avait incité la structure à fermer. Une fois la commande en main, Ario continua d'avancer dans la rue, sirotant son café. Le brownie était lui emballé dans un sac plastifié et l'homme eut quelques difficultés pour l'ouvrir. Tout en remontant l'allée, il dégustait avec plaisir son gâteau tout en finissant son café pendant que ce dernier était encore chaud. Il n'était plus très loin de son travail et, une fois son repas fini, il jeta les emballages au sol machinalement.
Après tout, tout le monde le faisait. Lorsqu'on vivait ici depuis longtemps comme lui, on savait voir les secrets d'une ville. Il suffisait d'être un peu attentif : entre les tours et les parterres fleuris étaient visibles des monticules de déchets : sachets de nourriture, mouchoirs usagés et même sacs poubelles par endroit, probablement des personnes trop fainéantes pour se rendre en déchetterie. Les ruelles les plus étroites dégageaient des odeurs d'urine mélangées à celles de quelques aliments en putréfaction. Cela sans compter le nuage de pollution qui flottait constamment sur la ville. Beaucoup des habitants étaient atteints de quintes de toux incontrôlées et de pathologies respiratoires de plus en plus complexes. Des alertes gouvernementales répétées essayaient de prévenir les populations sur la dégradation inquiétante de la planète. Mais Ario les avait toujours trouvées trop alarmistes, si la terre allait si mal, il s'en serait rendu compte non?
Après une journée de travail harassante, rien ne plaisait plus au jeune homme qu'un petit tour à la forêt la plus proche. Tandis qu'il claquait la porte de sa voiture, un imposant 4x4 pour pouvoir passer partout en toute simplicité, il inspira un grand coup tandis qu'il se dirigeait doucement dans une des allées arborées. Les grands feuillus l'encerclaient et une douce odeur de terre fraîche embaumait les lieux. Les rayons du soleil perçaient à travers la canopée, donnant aux arbustes des dégradés de couleurs et un aspect féerique. Le jeune homme aimait particulièrement la forêt et l'ambiance calme et apaisante qui régnait en ces lieux.
La mousse, d'un vert profond, qui recouvrait le sol donnait l'impression de marcher sur un doux tapis, de ceux sur lesquels on aimerait se coucher. Ario se serait bien laissé tenté mais un bruit sur sa gauche retient son attention. Il arrêta de bouger et scruta les espaces entre les arbres, à la recherche de ce qui avait pu émettre un son. Et il en trouva finalement la source : un magnifique cerf broutait, ne semblant pas avoir remarqué sa présence.
Relevant la tête par moment, l'animal humait l'air, s'assurant ainsi de ne pas être surpris par un prédateur. Ses bois, dépassant d'au moins un mètre de part et d'autres de son crâne, avait probablement poussé durant des semaines. Le pelage roux de l'animal se fondait à la perfection avec l'écosystème dont il était issu; signe incontestable de l'adaptation de la vie à la planète qui l'avait vu naître. Le cervidé surveillait son environnement, d'un œil méfiant..
C'était pour vivre ce type d'expériences que le jeune homme venait en soirée : certaines heures étaient plus propices à la découverte de ce genre d'animaux, craintifs et cachés le reste du temps. Ario s'accroupit le plus discrètement possible, faisant attention à ne pas être repéré. Quand il fut sûr que le cerf ne risquait pas de s'enfuir, il attrapa le fusil qu'il avait attaché dans son dos, l'arma et tira. Il aimait la chasse et, après s'être assuré que l'animal était bien mort, il retourna vers son véhicule en sifflotant.
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— Alors ? Qu'est-ce que tu as vu ? Nous devons agir vite, la planète Terre est en train de brûler. Nous avons déjà sauvé de nombreuses espèces. Devons-nous sauver les humains ?
A la voix de son ami, l'entité s'éveilla tout en quittant peu à peu la conscience de l'être vivant face à lui. Ils avaient, tour à tour, analysé les consciences de chaque espèce terrestre qu'ils avaient pu rencontrer en vue de les sauver en les installant sur une autre planète de même constitution. La pureté des êtres vivants qu'ils avaient trouvé jusqu'à maintenant étaient touchantes et aucune hésitation ne les avait détourné de leur projet premier. Pourtant, pour la première fois, une vive amertume l'étreignait. Et, tandis qu'il déposait un regard de dégoût sur l'humain face à lui, il répondit :
— Non. Finissez d'emmener les autres êtres de cette planète et laissez les humains ici.
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Un nouveau monde?
Short StoryArio est un homme heureux. Il aime beaucoup sa vie qu'il considère comme parfaite. Mais cela le sauvera t'il ?