Plusieurs mois s'étaient écoulés sans que rien d'anormal ne se produise. J'avais presque arrêté d'y penser. Presque. Ce sentiment inexplicable ne disparaissait pas. C'était comme si... oui. Comme s'il me manquait quelque chose. Un vide qui s'était fait, et qui n'avait pas disparu depuis ce jour. J'avais essayé de reproduire ce qu'il s'était passé. Mais comment le faire alors que je n'avais aucune information, aucun moyen de comprendre ?
*
- Mikhail deux bières pour la huit s'il te plaît !
- J'arrive !
Je sors de la cuisine du bar et me dirige vers le comptoir. Les deux pintes y sont déjà posées. Je n'ai plus qu'à les servir. Je me retourne, un plateau dans la main. La table huit. La plus éloignée du comptoir. Pourquoi deux pintes de bière ? Il n'y a qu'une personne. Encapuchonné dans un épais manteau, il m'est impossible de voir son visage, mais ce n'est pas un habitué, ça se voit. Je m'approche.
- Voilà vos deux pintes de...
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase. L'individu m'attrape par la nuque et me plaque contre la table. Personne ne peut nous voir. Nous sommes enveloppés par l'obscurité et une cloison nous dissimule de moitié.
- Demain, ne viens pas au bar.
- Sinon ?
L'emprise sur ma gorge se resserra. Je toussais. Je n'aurais peut-être pas dû l'ouvrir.
- Sinon, tu es mort.
Sympa. J'aime bien la relation client serveurs. C'est toujours très aimable. Mais je vais suivre son conseil, c'est mieux.*
Je rentrai chez moi plus tôt que prévus. Des marques rouges sur la gorge. L'appartement était vide, une fois de plus. Je m'assis sur mon lit. En face, le lit d'Alex, sa table de nuit, et plus proche, la mienne. Une lampe bon-marché tenait difficilement en équilibre, et quelques bouquins de maths, empilés les uns sur les autres, prenaient la poussière. J'en soulevais un. Les pages étaient jaunies par le temps et les dessins de la quatrième de couverture à moitié effacés. Calculs et arithmétiques. Ça date. Je feuilletais les pages, quand une enveloppe tomba. Elle était étrangement blanche pour voir l'ancienneté du livre. Elle avait été mise ici, il n'y avait pas si longtemps. Il n'y avait rien dessus. Ni timbre, ni destinataire, ni expéditeur. Je l'ouvrais. Un tout petit papier y avait été inséré. Dessus, il n'y avait qu'une adresse d'écrite, et une heure : "ancien bâtiment ; ce soir ; rue du corbeau ; 23 h 00". C'était... Bizarre. Dans le sens où, en temps normal, on ne vous envoie pas de lettre avec si peu de mots, et où le ton employé est aussi... Direct.
- Est-ce que j'y vais ?
Pourquoi avais-je parlé à voix haute ? Ce n'était pas comme si quelqu'un allait répondre. Et puis de toute façon, bien sûr que j'allais y aller. C'était l'occasion rêvée, si c'était bien ça, d'obtenir des réponses sur les événements d'il y a quelques mois. Rien n'avait eu lieu depuis, mais je n'avais pas oublié, et je voulais des explications. Je n'avais rien à perdre, mais tout à gagner.
J'enfilais ma veste, mes chaussures, et c'était reparti pour un tour. L'air glacial me fit l'effet d'une gifle. J'avais beau avoir trois couches de vêtements sur moi, c'était comme si j'avais sauté nu dans un tas de neige. Je rentrais ma tête dans le col de ma veste, et me mis en route, l'enveloppe dans ma poche. La rue du corbeau n'était pas si loin. Vingt minutes à pieds. C'était moins loin que si j'allais au bar.
Cela faisais maintenant un quart d'heure que j'étais arrivé, et toujours personne. Je commençais à croire à une mauvaise blague, quand j'entendis des bruits de pas. Enfin, il me semblait que c'en était.Je reconnus l'individu qui m'avait si gentiment menacé de mort il y avait de cela une heure. Je me doutais que c'était lui qui m'avait donné cette lettre, sinon qui d'autre. Mais pourquoi ? Je ne le savais pas. Et c'est justement pour cette raison que j'avais décidé de venir. Bon, c'est vrai que je m'attendais à recevoir d'autres réponses. Du genre : "ah oui, au fait, je voulais t'expliquer pour l'autre jour, tu t'en souviens ?" Mais pour l'instant, ne sachant pas à qui j'avais affaire, je restais sur mes gardes.
- Tu es venu.
- Quelle observation ! Qu'est-ce que tu me veux ?
J'avais parlé beaucoup plus sèchement que prévus. Sûrement un mauvais souvenir de lui qui ressortait. Comme la fois où j'avais failli me faire étrangler sur une table de bar.
- Calme toi. Je veux juste te protéger.
- C'est vrai que je suis protégé avec un fou furieux qui vient à l'endroit où je travaille pour me menacer de mort, pour ensuite me faire parvenir une lettre avec un simple mot à l'intérieur.
- Fais-moi confiance. C'est tout ce que je demande.
- Mais bien sûr ! Je vais te faire confiance alors que je n'ai jamais vu ton visage, et que pleins d'autres facteurs font que je ne peux pas me fier à toi. D'autres exigences peut-être ?
- Et si je te montre mon visage ? Me feras-tu confiance ?
- Et bien... ça faciliterai peut-être les choses. J'apprécierais de voir le visage de celui qui a voulu me tuer.
- Alors je vais te le montrer. Mais je te le répète encore une fois, je n'ai jamais voulu te tuer. Mon seul but est de te protéger.
L'individu se rapprocha, tout en enlevant ce qui lui couvrait le visage.
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First Destinity
FantasyMikhail cumule les petits boulots pour se payer son loyer, qu'il partage avec un colocataire. Lycéens avant tout, il va devoir découvrir, malgré lui, un tout autre monde. Là-bas, d'autres ennemies l'attendent. Le temps file et il est parfois impossi...