1. Retour dans la vraie vie

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La pluie tombait drue contre les carreaux de la petite fenêtre à barreaux, brouillant la vue sur le parc. Ce parc qu'il connaissait à présent par cœur pour l'avoir maintes fois observé tout au long de ces années. Un toussotement se fit entendre derrière lui, clairement l'homme s'impatientait. Zelyan soupira, d'un geste rapide, il glissa une main dans sa chevelure brune rebelle. Du haut de ses seize ans il avait déjà tout d'un adulte, avec un corps musclé par des années d'entraînements physiques mais ce n'était pas ce qui le caractérisait le plus en effet, Zelyan avait tout du vieil homme dans sa tête, il parlait avec un vocabulaire issu des nombreux livres anciens qu'il avait lus et il vivait déconnecté du monde. Mais cette dernière partie était probablement due au fait qu'il avait passé la majeure partie de son enfance dans cette petite chambre de l'aile psychiatrique l'hôpital Saint-Georges, bourré de médicaments.

« Tu m'abandonnes alors ? »

Le jeune homme réprima son envie de tourner la tête vers l'origine de la voix claire et inspira une grande bouffée d'air. Elle n'était pas vraiment là, il le savait, et, grâce à cela, il pouvait partir aujourd'hui et commencer sa vraie vie.

« Prend soin de toi. »

Sans un mot il se retourna vers l'homme plus âgé qui attendait toujours, attrapa son sac à dos et avança vers la porte. Tous deux quittèrent la pièce dans le silence et filèrent directement vers la sortie principale de l'hôpital. Garée un peu plus loin sur le parking, une voiture familiale les attendait avec à son bord une femme d'âge moyen et deux jeunes adultes. Elisabeth, la mère, sortit lorsqu'elle aperçut les deux hommes et courut embrasser son plus jeune fils. Zelyan laissa cette femme qu'il connaissait moins bien que les infirmières de son ancien service l'enlacer et eut la délicatesse de refermer un bras autour de son corps ce qui eut pour effet de renforcer la joie qu'elle éprouvait.

« Allez mon chéri, rentrons à la maison », dit-elle d'une voix brisée par les sanglots tandis que son époux, Jack, ouvrait le coffre pour y insérer les affaires de Zelyan avant de le refermer et d'ouvrir une portière latérale et d'inviter son fils à y pénétrer alors que la pluie redoublait de violence. Une fois à l'intérieur, Zelyan y retrouva Thomas, son aîné de trois ans et sa sœur Mary qui semblait très occupée avec son téléphone. 'Bienvenue dans la vraie vie', songea-t-il alors que la voiture démarrait.

Le trajet assez long fut silencieux, l'ambiance était plombée par le malaise ambiant, il avait toujours été difficile pour les deux aînés d'accepter la différence de leur petit frère. En apparence Zelyan était « normal » mais il avait toujours vu des choses invisibles aux autres. Les médecins avaient conclu à des hallucinations et une affection mentale sévère, ce que l'enfant avait contesté pendant des années avant de laisser les blouses blanches et leurs médicaments gagner mais il savait que tout était vrai, qu'il n'était pas fou.

« Est-ce que l'on verra ton amie imaginaire au dîner ce soir ? » Demanda Thomas lorsqu'enfin ils furent arrivés. Bien mal lui en prit car il se retrouva plaqué contre le mur de la maison sans plus de cérémonie par son cadet.

« Laisse Ereyne en-dehors de cela ! Est-ce clair ? » Rugit Zelyan avant de reculer en lâchant son frère qui perdit l'équilibre et manqua de terminer à terre. Thomas allait répliquer mais leur père s'interposa. « Quelle idée d'avoir ramené ce fou à la maison ! » Cria l'aîné en tournant les talons, direction sa chambre alors qu'au contraire Zelyan s'enfuit en courant vers le fond du parc qui entourait la maison. Il s'arrêta de longues minutes plus tard, au moment où il atteignit un ruisseau qui s'écoulait paisiblement, circulant entre de grands arbres arborant les couleurs de l'automne.

Abattu, Zelyan s'assit au pied de l'un d'entre eux et reprit sa respiration, non sans difficulté, il leva les yeux et se perdit dans les couleurs chatoyantes du feuillage toutes ces nuances dorées lui évoquèrent une chevelure qu'il aimerait oublier, une personne qu'il aurait aimé ne jamais connaître. Après tout, chacun lui disait qu'il était fou, Thomas avait raison, mais il n'arrivait pas à s'en convaincre, Ereyne était si réelle, et son monde si... vrai. Il ne pouvait pas avoir inventé tout cet univers, quoi qu'on puisse lui dire, le royaume d'Ereyne existait.

 

Zelyan passa une bonne partie de l'après-midi assis au pied de cet arbre, perdu dans ses pensées, il essayait en vain de trouver Ereyne mais ses médicaments l'en empêchait, foutus médocs. Il perdit la notion du temps et finit par s'endormir, vers 19 heures, sa mère le rejoignit. Un peu tremblante elle passa un bras sur ses épaules et le serra contre elle. Zelyan put sentir son doux parfum, l'une des rares choses qui lui avaient manqué au cours des années.

"Viens mon chéri, le dîner est prêt." Dit-elle en se redressant. Elle lui tendit une main qu'il saisit et se laissa guider jusqu'à la maison. Son frère et sa soeur étaient déjà attablés, ainsi que leur père. Au coup d'oeil que Thomas lui jeta ainsi qu'à leur père, Zelyan sut qu'il y avait eu des consignes. L'aîné était l'adolescent populaire typique, en un mot, Thomas était cool. Zelyan comprit rapidement d'où venait l'hostilité de son frère, ils allaient être dans le même lycée et Zelyan était une magnifique tâche sur son T-shirt griffé. Zelyan ne sut trop décrire les sentiments qu'il éprouvait pour lui, il l'admirait et le méprisait à la fois, tellement... parfait. Le parfait sportif, le parfait élève, le mec sympa, tout ce que Zelyan aurait voulu être s'il n'avait pas eu son "don". Quant à Mary, elle était... collée à son téléphone, ses doigts bougeaient si vite sur l'écran que le logiciel avait du mal à suivre le rythme.

"A table chéri, ordonna Elisabeth d'une voix douce mais ferme.

-Thomas, dit le patriarche tout en passant la salade à son fils cadet, je veux que tu prennes soin de ton frère demain au lycée."

L'aîné lui répondit par un regard noir qui ne paru pas faire grand effet à son père.

"C'est l'affaire de quelques jours, le temps qu'il découvre son environnement.

-Et internet, railla Mary sans quitter son téléphone des yeux, pour le connecter à son amie imaginaire.

-Mary! Intervient sa mère, une remarque de plus et je confisque ton objet de malheur."

Une salle, une ambiance, une sale ambiance. Songea Zelyan. Finalement j'aurais préféré rester à l'hôpital.

La suite du repas fut silencieuse, seuls le bruit des couverts qui s'entrechoquaient le rompait brièvement, ainsi que quelques phrases banales telles que "passe-moi le sel". Cela eut le don d'exaspérer Zelyan au plus haut point, il se sentit prêt à exploser, pire qu'une cocotte minute sous pression. Enfin le dîner se termina, Elisabeth insista pour accompagner son jeune fils dans sa chambre. La dernière fois qu'il y était entré il avait six ans et un lit en forme de voiture. A présent un canapé lit occupait un recoin de la pièce, un grand bureau avec beaucoup de livres et de cahiers lui faisait face. Tous ses jouets et toutes ses peluches avaient soigneusement été stockées dans de grandes boîtes en plastique transparent. Zelyan vit que ses valises avaient été entreposées au pied du lit, devant un petit coffre en bois. Sa mère déposa sur le bureau une petite boîte en plastique que Zelyan connaissait bien. La boîte à pilules qu'il avait promis de prendre ponctuellement et consciencieusement. Et si sa mère était là, ce n'était pas seulement pour le border mais bien pour vérifier qu'il tenait parole. C'est pour cette raison que lorsque Zelyan revint de la salle de bains elle était encore là à l'attendre, assise sur son lit, un livre de contes à la main.

"Rassure-toi, je ne te lirai pas d'histoire, tu es assez grand. Dit-elle avec un léger sourire.

-J'espère bien, dit-il en attrapant la boîte maudite, il ouvrit l'un des compartiments, récupéra trois pilules et les avala d'une traite avant de boire une gorgée dans le verre que sa mère lui tendait. Elle se leva et lui laissa la place dans son lit. Zelyan se coucha et elle l'embrassa sur le front.

-Bonne nuit mon chéri."

Elle quitta la pièce et referma la porte. Zelyan soupira et évita soigneusement de penser à la journée qui l'attendait. Le bon côté des choses est que l'une des pilules était un somnifère, il ne tarderait pas à dormir. Néanmoins il se concentra, fixa le plafond et se remémora ces deux magnifiques yeux gris qu'il aimait tant. Il lutta contre le poison qui se répandait dans ses veines, engourdissant son esprit mais ne put faire grand chose et sombra dans le sommeil avec le souvenir d'un rire cristallin pour seul compagnon.

Axel.

Le Royaume d'EreyneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant