La tempête faisait rage dans la petite crique. Les arbres qui protégeaient habituellement le pavillon étaient couchés par le vent et les vagues déferlantes qui heurtaient alors fenêtres et murs. Les volets, fermés mais en partie arrachés et déglingués, ne masquaient pas le spectacle apocalyptique. Les occupants de la maison attendaient, tremblants d'angoisse, tressautant au moindre choc de la masse aqueuse sur la façade, au moindre coup de tonnerre. Le ciel s'était métamorphosé en abysse, mise en abyme du fond des eaux. Terrifiant. Moi-même je n'étais guère vaillante, roulée en boule contre ma tête de lit, couverte de sueur et de la moiteur qui imbibait l'air. Tout était froid, cru. Le plus bref contact évoquait la glace et semblait pénétrer jusqu'à l'os, s'insinuant sous la peau à la manière d'un parasite, de milliers de parasites rampant sous l'épiderme, dévorant chaque once de chaleur. Je vais mourir. Je ne veux pas mourir. Telles étaient les seules pensées qui franchissaient l'épaisse frontière de brume, coton et terreur qui imbibait mon esprit.
Et soudain, c'est le ciel qui se déchire ! Grondement de fin du monde, lumière assourdissante. La foudre n'a qu'un seul endroit où frapper. Lorsque j'ouvre les yeux, enfin que j'essaye malgré mes paupières presque scellées, je perçois les autres occupants de la pièce, gisant sur le sol, la gueule béante et difforme, noircie. Après le constat vient la douleur, bombe à retardement qui brouille les autres sens : je suis dans le même état que ces corps étendus. La mâchoire déboitée, les dents déformées à force de les serrer, la langue, le palais et les joues enflés, pâteux, engourdis. Le monde, l'univers est lancinant. Les yeux exorbités, les paupières bouffies. Les narines emplies du relent obsédant de chaire brûlée. Le front cloqué, les cheveux en lambeaux. Ma tête a cogné le mur, mes tempes pulsent sous la pression du sang qui envahit mon crâne. L'hémorragie va m'achever, ce n'est qu'une question de temps. Je tente de me lever. Mon corps est lourd, mes jambes flageolent, le portent à peine. Le monde, l'univers tangue et semble imploser. Je trébuche sur un corps, m'avachit tout contre le sol. Le reste de ma progression est un mélange de marche, chute, reptation. Dans le couloir et la salle à manger, certains s'affairent, s'occupent des souffrants. « Dans la chambre », j'articule difficilement. Ils se précipitent. Mon corps informe, boiteux, éclopé, tordu me traîne faiblement dans la salle de bain. Un fou s'enfuit en y voyant de l'eau. L'élément aura noyé plus d'une raison. Je dois aller aux toilettes. Comment font les personnes dans le coma pour se vider la vessie ?
J'ouvre les yeux. Il fait encore sombre dehors. Je desserre les dents, tâte mon palais avec ma langue, bouge mes membres un à un. Seule la terreur et le souvenir demeurent.
