Chapitre 1

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Silvia se réveilla au milieu de draps de soie et satin. Le contact de ces tissus de prix sur sa peau était doux et voluptueux. Le soleil matinal perçait par les persiennes et zébrait le lit.

Si elle prêtait l'oreille, elle pouvait même entendre l'écoulement de l'eau du canal, les invectives des bateliers – jamais avares de noms d'oiseaux des plus créatifs pour agonir d'insultes leurs collègues maladroits – la réclame des artisans qui vantaient à qui mieux mieux la rareté de leurs épices, la minutie de leur orfèvrerie ou la finesse de leurs soieries.

Une odeur de café fort embaumait l'atmosphère et se mêlait au parfum délicat du bouquet de droséras qui trônait sur sa table de nuit.

Tout était donc pour le mieux.

Excepté le fait que Silvia n'avait jamais mis les pieds dans cette chambre auparavant. Quand cette évidence la frappa, elle tira les draps en panique et s'arracha du lit.

La première chose qu'elle fit fut d'ouvrir grand les volets. La lumière sèche de ce début d'hiver lui vrilla les pupilles. Le spectacle du Grand Canal s'offrait pleinement sous ses yeux. Ce fourmillement de gondoles, de demi-flûtes, de quelques goélettes revenues du large même, la rassura. Elle avait aperçu une ou deux fois le quartier de l'Alto, de loin, quand la milice de la ville ne prêtait pas attention à ses guenilles habituelles et la laissait s'introduire dans le quartier riche de la Haute-Ville.

Elle était donc toujours à Sapienza. C'était déjà ça.

Une fois ce fait établi, Silvia se concentra pour la première fois sur son environnement immédiat. Elle prit la mesure la pièce où elle se trouvait. Un lit à baldaquin aux opulentes soieries moirées occupait l'essentiel de cette vaste chambre. Au plafond, un lustre en cristal de Rioul, jetait ses reflets carmins caractéristiques. A côté du lit qu'elle venait de quitter précipitamment, une grande armoire de style Siladique, tout en courbes et arabesques. Et, à l'extrémité de la pièce, un grand bureau de bois sombre orné de quelques dorures.

C'est à ce moment-là que Silvia prit conscience d'être nue. Elle chercha en vain ses vêtements – sa chemise usée jusqu'à la corde, ses bottes de marche, rapiécées, mais toujours confortables, son pantalon bouffant déposé en gage par un voyageur de l'Orient et surtout sa sacoche d'apothicaire. Elle arracha les draps du lit, regarda sous tous les meubles, ouvrit rageusement les portes de la grande armoire : en vain.

Il y avait cependant, à l'intérieur, une superbe garde-robe composée de vêtements de prix, tous identiques. Des tissus sombres, comme le voulait la mode, rehaussés des insignes de la ville. Du genre qu'aurait pu porter n'importe quel noble privé d'imagination.

A l'intérieur de la porte de l'armoire, on avait suspendu un grand miroir de pied. Alors que Silvia essayait l'une des tenues – et constatait qu'elle lui seyait étrangement bien –, elle aperçut le reflet de la carte.

Sur son avant-bras droit, une carte d'or était marquée sur sa peau, comme au fer rouge. Elle l'effleura, mais ne ressentit aucune douleur. Les chairs ne semblaient pas non plus avoir été brûlées. Ni même tatouées, car il eut été impossible que l'encre fût aussi parfaitement figée. Malgré sa formation de médecin, Silvia était perplexe. Peut-être cela relevait-il de cette étrange science de l'Alchimie que des savants comme le grand Paracelse prétendaient pratiquer ?

La nuit, un cercle de paris clandestin, une partie de Cébette endiablée, le croupier qui me distribue une carte d'or, un joker me dit-il. Je forme un prétoire de figures complet et je remporte la mise. Je paie ma tournée et je fête ma victoire jusqu'au petit matin.

La scène apparut soudainement devant les yeux de Silvia, comme une bouffée de souvenir. Voilà où elle avait donc vu cette carte. Était-ce ce qui lui était arrivé la veille ? Elle se souvenait de tout, sauf de la manière dont elle s'était retrouvée là. Cette bribe de souvenir était la seule chose qui lui était revenue jusque-là.

Soudain, on frappa à la porte.

SapienzaWhere stories live. Discover now