La vie de Fleur n'est pas un enfer. Mais ça n'est pas le paradis non plus. Elle dit souvent qu'elle est neutre. D'ailleurs, si vous le lui demandiez, elle vous dirait que tout chez elle est neutre : pas vraiment jolie, mais pas moche non plus ; pas mauvaise dans ses études, mais elle n'y excelle pas non plus ; elle ne va pas mal, mais elle ne va pas bien non plus. Elle va, c'est tout. Alors, oui, neutre serait bien le nom que la Française se serait donné, si elle en avait eu le choix.
Ah, le choix ! C'est là aussi un bon sujet de discussion. Fleur n'a jamais rien choisi. L'école dans laquelle elle allait, ce sont ses parents qui l'ont décidé. Ses amis, c'est son école qui les a choisies. Et ses passions, ce sont celles de ces mêmes copains. Et c'est pour ça qu'elle est là, sous la pluie, à attendre. C'est parce que Mélodie, la merveilleuse, la magnifique Mélodie, a voulu venir fêter ses vingt-trois ans à Milan.
" Pourquoi râler ? "direz-vous. C'est vrai : Milan est magnifique ! C'est la ville des arts, du luxe, de l'amour.Oui, mais l'art et Fleur, c'est l'eau et le feu, le noir et le blanc, la terre et le ciel, l'éléphant et la souris, les adeptes du coca versus les adeptes du Pepsi. Bref, vous l'aurez compris, ils ne vont pas vraiment ensemble. La jeune femme n'a jamais compris pourquoi une peinture pouvait être si intéressante : c'est juste du temps perdu. Et s'arrêter en plein milieu d'une rue pour regarder une façade ? Non merci, un mur, c'est un mur.
Et puis, le luxe non plus n'attire pas la brunette. Elle a toujours vécu dans une famille modeste, et n'a jamais eu besoin d'avoir un sac de haute couture ou une robe où les zéros s'alignent après le prix. Ces habits qui coûtent si chers, elle peut trouver les mêmes de manière bien plus abordable dans la petite boutique au coin de chez elle. Et si on lui expose la qualité du tissu, elle répond que pantalon de marque ou pas, tant qu'il assure sa fonction, il n'y a rien à dire.
Et l'amour ? C'est le grand déserteur de la vie de Fleur. Bien qu'elle ne s'en plaigne pas. Elle n'a pas vraiment besoin de plus de complications dans sa vie. Dans ses conditions, moins elle a de relations, mieux c'est. En tout cas, c'est ce qu'elle se dit quand elle sent la solitude s'emparer d'elle.***
Quand on lui dit Italie, Alexander pense soleil. Pourtant, depuis qu'il s'est installé à Milan, il ne l'a pas vu souvent. Et pourtant, cela fait déjà trois mois ! Certes, trois mois en hiver, mais trois mois en Italie quand même. Le voilà donc qui regarde tomber du ciel des milliers de gouttes moroses. Oui, moroses. Parce que de là d'où il vient, quand il pleut, les petites sphères se transforment sans attendre en de magnifiques cristaux de glace et se déposent délicatement sur les branches givrées des arbres. Ici, elles s'écrasent sur le sol sans aucune élégance, au milieu des touristes qui courent dans tous les sens.
L'un d'eux, d'ailleurs, s'approche de lui. Il a dû le prendre pour un fin connaisseur des lieux et lui demande son chemin. Alex secoue la tête : il ne parle pas anglais et maîtrise tout juste l'italien (il est bien forcé de s'y mettre). Penaud, le bonhomme s'en va reprendre son chemin, laissant à nouveau le Norvégien seul, droit, et mouillé.Vous pouvez décemment vous demander pourquoi notre homme reste planté sur le trottoir depuis une demi-heure, tant et si bien que l'eau commence à s'infiltrer entre les pores de sa peau. Et bien, il se trouve qu'alors qu'il marchait pour se rendre à son petit appartement, il a aperçu cette fille. Assise sur un muret en béton, un bonnet à pompon pailleté enfoncé jusqu'à ses oreilles, elle se tient légèrement en arrière pour être protégée de l'averse par une arcade.
Elle n'a pas bougé. Pas une seule fois. Elle garde le regard rivé sur la foule, comme si elle cherchait quelqu'un. Et parfois, elle baisse la tête vers les pavés pendant une ou deux minutes, avant de la relevée, prise d'un frisson. Comme si elle sortait d'un rêve. Alexander aime bien se dire qu'elle est comme lui : perdue dans un monde bien trop grand. Il se tâte à aller la voir. Mais pour quoi faire ? Il ne pourrait certainement pas lui parler, en tout cas, il est très peu probable qu'il puisse la comprendre. C'est dans ces moments qu'il regrette d'avoir fait la tête de mule et de ne pas avoir suivi ses cours de langues étrangères. La seule qu'il pratique bien, ce sont ses parents qui lui ont appris. Or, il doute que cette demoiselle la connaisse elle aussi : c'est loin d'être la plus commune.

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Rencontre pour Milan
Short StoryFleur subit son voyage à Milan plus qu'elle ne le choisit. Quand elle ses amis lui posent un lapin et qu'elle fait face à un psychopathe, c'est là que tout dérape. Alexander, lui, a emménagé depuis peu en Italie. Quand il remarque cette jeune femme...