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Qu'est-ce qu'un artiste ? Un esprit qui tente de se libérer d'un poids qui lui a été revêtu ? Un prisonnier voulant s'évader afin d'exploser dehors dans les rues ? Ou bien juste le meneur d'une troupe nomade qu'il tente d'emmener ailleurs, donnant fruits de réflexion et paysages merveilleux ? Un geôlier sympathique au final, qui offre la possibilité d'évasion à ses chiens de cellules. Oui, un artiste peut se définir ainsi, être un peu de tout ça à la fois.

Mais pas que.

Un artiste — et par-là, j'entends un vrai artiste — veut par-dessus tout marquer le monde, montrer sa création en espérant qu'elle sera imprimée dans l'œil de chacun, qu'elle rejoigne l'imaginaire collectif et devienne le ticket d'or au Panthéon des grands de ce monde. C'est ce que je m'apprête à faire — Du moins, je l'espère.

Je le dis : tout artiste cherche son chef-d'œuvre, et j'assure que, quand il le tient, il a besoin de toutes les bonnes conditions afin de le réaliser : l'environnement adéquat, juste ce qu'il faut de lumière, la bonne idée en tête et, dans le cadre du dessin, le bon modèle à immortaliser.

Je pense avoir enfin trouvé de quoi réaliser le mien. Mon chef-d'œuvre. Un endroit suffisamment calme et reculé, une lampe suspendue pour un éclairage optimal, le plus beau des sourires à l'esprit et ma belle Mona Lisa. Ça fait bien trois heures qu'elle n'ose pas bouger, qu'elle tient la pose, assise, sous le doux bruissement de mon crayonné.

Tout est parfait, j'en pleurerais presque.

Je n'imaginais pas pareille sensation quand j'ai dessiné mon premier modèle. À l'époque, je voyais en elle le sourire que je cherchais depuis tant de nuits. Je l'avais dessinée pendant je ne sais combien de temps chez elle, dans cette même position, assise. Et toujours, nous étions bercés par le frisson du graphite sur la toile.

Malheureusement, mes dessins d'elle, comme ceux des suivantes, je n'aimais pas le rendu final. Elle ne souriait pas, comme je l'avais rêvé. Pourtant, je me rappelle le nombre de fois que je lui avais répété de remonter ces coins de lèvres mais visiblement, l'effort était de trop.

C'est là que m'est venue l'idée de d'abord dessiner le visage et le haut du corps sans m'occuper de la bouche. Le sourire deviendrait ma dernière étape.

Ainsi, en ce moment, comme dans la vie de tout grand artiste, le modèle patiente pendant que le maître crée.

Cette fois sera la bonne ! Je suis fin prêt à faire rougir De Vinci et sa belle gueuse. Tout est bien tracé, je peux passer au sourire.

« Mélissa ? Mélissa, redresse-toi, dis-je tendrement, c'est presque fini. Tu n'as plus qu'à sourire et après, tu seras libre. »

Elle ne répondait pas.

Je l'ai rappelée une ou deux fois et là, je revis son beau faciès. Elle redressait la tête, les yeux humides. Les larmes coulaient d'elles-mêmes le long de ses joues, soulignaient les traits de son visage.

Je me suis approché, tirant un mouchoir de ma poche et j'essuyai tout ça. Elle avait beau tremblé, elle ne pouvait pas partir, encore moins s'endormir, le dessin n'était pas terminé.

Je lui ai ensuite retiré le bâillon qu'elle avait en bouche et lui ai bien fait comprendre que j'avais besoin de son sourire le plus beau. Malgré ses yeux terrifiés et ses tremblements, elle ne répondit rien et acceptait d'accéder à ma requête. La brave demoiselle.

Je suis retourné à mon chevalet, à ma grande feuille, à mon crayon et j'ai regardé vers ma douce Mona. Je connaissais tout de De Vinci mais par-dessus tout, je connaissais sa Joconde. Des yeux et surtout un sourire perturbant, heureux mais au bord de l'extinction. Ainsi, je dessinais, confiant. Tu es la nouvelle Lisa, Mélissa, mon sourire unique.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 11, 2021 ⏰

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Le Temps d'un SourireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant