Petite fille des sombres rues

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Assis sur une colline au pied d'un arbre, il regardait au loin le soleil se coucher. Depuis longtemps, il n'avait pas assisté à une douce soirée tranquille. Il adorait s'isoler ainsi, sentir l'air frais et pourtant chaleureux le traverser en un souffle de vent qui lui semblait mélancolique comme un son de flûte, entendre le chant des oiseaux, le bruissement du feuillage, observer le ciel et son dégradé de couleurs qui n'a son pareil qu'au crépuscule. Le bleu à l'est en différentes teintes, en plein centre cette nuance violette presque rose et à l'ouest la lumière couleur feu du soleil irradiant l'horizon, le tout constellé de nuages dérivant mollement sur la voûte céleste. Il aimait sentir sous son corps le picotement humide de l'herbe et deviner la vie qui grouillait en dessous, la respiration de la terre.

Mais surtout il aimait le calme, presque autant qu'il aimait la musique. Il l'apaisait et le laissait profiter de la douce quiétude du soir, s'éloignant du brouhaha et de l'agitation incessants de la ville. Il se recentrait sur lui-même, et là, le corps gonflé d'air pur et le cœur rempli d'espoir il était prêt à affronter le jour suivant.

Pourtant ce soir, il eut besoin de plus de temps sur cette colline et sous cet arbre et bientôt, le chatoiement du crépuscule laissa place à la noirceur étoilée de la nuit. Il se leva finalement et repris le chemin vers chez lui. Il prit plaisir à marcher ainsi, éclairé par la lune et les étoiles, le monde était bleu, un bleu apaisant. Il était sensible aux couleurs changeantes autour de lui qui se rapportaient à ses humeurs. 

En errant ainsi, il aperçut par hasard au bout d'un cul de sac, une silhouette féminine. Il n'était pas habitué à marcher dehors la nuit, mais il savait que ce quartier était assez mal fréquenté, et il en déduisit que cette femme tentait de se prostituer. Pourtant... quelque chose n'allait pas. Piqué d'une curiosité qui ne lui ressemblait pas, il s'approcha discrètement de la jeune femme.

Il fut comme saisi par sa beauté, pourtant elle semblait tout faire pour la dissimuler. Elle portait une simple robe grise et terne, ample, aux grandes manches et qui la recouvrait jusqu'aux pieds. Elle était plutôt grande, très maigre et blafarde. Elle avait des cheveux ébènes ondulés d'une longueur surnaturelle qui arrivaient presque à ses genoux et se mouvaient gracieusement au vent. Mais plus que tout, il fut subjugué par son regard, elle avait des yeux d'un bleu profond, un bleu qui ondoyait presque comme de l'eau, un bleu d'océan, un regard puissant et fragile à la fois, comme la mer, tantôt calme et tantôt battue par les tempêtes. Ses yeux trahissaient une indicible mélancolie.

Elle était le genre de femmes que personne ne remarque, on sentait dans sa danse la désillusion de celle qui n'a jamais de clients, pourtant il trouvait dans ses mouvements graciles, sa danse irréelle, dans sa chevelure, sa robe grise sous laquelle elle s'écroulait presque, ses lèvres fines qui avaient l'air de ne rien connaître des baisers, et plus que tout son regard, quelque chose qui le bouleversait en son être. Ses yeux noisettes croisèrent ses yeux bleus et ils s'entre regardèrent silencieusement une seconde.

Cédant à un mouvement instinctif qui ne correspondait à rien de ce qu'il faisait habituellement, il se saisit de son porte monnaie et le mit tout entier dans la poche de la robe grise avec tout l'argent qu'il contenait. Elle eut un regard surpris, elle ne comprenait pas vraiment, cette situation était inhabituelle pour elle aussi. Très timidement, gêné par sa propre audace, Gabriel tendit la main vers elle. Encore plus timidement encore, la prostituée posa sa main dans la sienne et se laissa guider.

Le clair de lune avait une saveur différente lorsqu'il était partagé. Mais, s'il s'était avéré que la nuit n'apportait pas assez de lumière pour eux deux à la fois, il sentit qu'il lui aurait volontiers cédé la sienne.

Sans un mot, sans se lâcher la main, il retrouva sa petite maison miteuse à l'écart de la ville, et tout ce qui lui était familier. La plupart des gens rêvaient de luxe, d'espace, ils voulaient que leur maison soit un étalage de richesse aux couleurs chatoyantes, remplie de meubles et de décorations, de grands bouquets de fleurs dans chaque pièce, des tableaux rares accrochés aux murs... Pourtant, il était apaisé par ces petites pièces, le lino collant au sol, les poutres de bois, les quelques toiles d'araignées au plafond et la poussière sur la vieille commode. Seul élément qui tranchait dans se décor de mansarde, une grande pièce centrale au parquet bien ciré, avec de grandes fenêtres laissant pénétrer la lumière dont on devinait qu'elle illuminait la pièce en se reflétant sur le bois en pleine journée et aux quatre coins de la salle... des instruments de musique. Il semblait leur porter un soin religieux, beaucoup plus qu'à tout le reste de son mobilier, ils brillaient et paraissaient merveilleusement entretenus. Un grand piano à queue semblait donner le la au milieu de cet orchestre qui ne jouait pas. Devant les yeux de la jeune femme qui découvrait cet endroit passèrent des ombres fantomatiques de musiciens et de danseurs qu'elle imaginait se réjouir ensemble en ce lieu.

Après quelques instants à la laisser observer, il la mena au fond du couloir, où un escalier en colimaçon amenait à une chambre douillette, aménagée dans une alcôve. 

Ils s'aimèrent comme ils ne l'avaient jamais fait, ni l'un ni l'autre. Leurs deux corps entrèrent en symbiose naturellement, comme s'ils se connaissaient depuis toujours, ils sentaient instinctivement quels baisers, quelles caresses pour se faire frissonner, il n'y avait pas besoin de mots, leurs regards seuls se comprenaient. C'était une union pure, et douce, comme sortie d'un rêve, et leur étreinte semblait les rapprocher chaque seconde un peu plus. Il se sentir en adoration pour chaque courbe fine de son corps maigre, il aimait répandre ses mains douces et chaudes sur sa peau de nacre, passer ses doigts dans ses cheveux, embrasser ses lèvres fines, se perdre dans ses yeux bleus. Lorsqu'enfin leur passion finit d'emporter tout sur son passage, elle s'endormit d'un coup.

Il l'observa un instant, il ne pouvait pas la laisser partir. Avec une grande déférence, il plia sa robe grise qu'il posa à côté du lit, habilla la jeune femme d'une longue chemise de nuit blanche, puis, par respect, descendit dormir seul dans un canapé.

En empruntant les escaliers en colimaçon en sens inverse, un constat le frappa : Il ne savait même pas son nom.






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⏰ Dernière mise à jour : Mar 27, 2022 ⏰

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Le musicien et la goutte d'eauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant