Dis papa...

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-C'était la dernière fois Silco, la dernière fois que je tolère son comportement, sa présence même. Je suis très patiente, tu le sais, mais là. Là, ça va trop loin.

Sevika, la mâchoire crispée et le poing serré, n'attend qu'une chose : une réponse. Elle attend que le siège devant elle se tourne et que celui qu'elle sert, depuis des années maintenant, lui dise enfin qu'elle a raison, que l'enfant n'était qu'un problème.

Et pendant un instant, attendant fiévreusement que l'homme à qui elle s'adresse daigne lui faire face, une pensée traverse son esprit terriblement embrouillé par les émotions.

Et si elle s'en débarrassait elle-même ?

A quoi bon.

Elle ne lui ferait pas ça, pas à lui.

Sa main, brûlée vive et d'une couleur bleue familière, se desserre dans un geste lent et contrôlé, réalisant ce à quoi elle venait de penser. La femme exhale longuement.

Pendant ce temps, la pluie tombe à grosses gouttes dehors et brise le silence assourdissant régnant dans la pièce.

-Sevika, Sevika.. Voyons, ne te mets pas dans ces états.

La voix monotone résonne dans les oreilles de la femme. Elle n'espérait rien de cet échange et pourtant son air désabusé traduit, malgré elle, son dépit face à l'indifférence de Silco.

L'homme, impassible, reste dos à son bras droit, exhalant une nouvelle nappe de fumée blanche.

-Elle creusera votre tombe, siffle-t-elle avec hargne. "Mais je refuse qu'elle creuse la mienne."

Elle pince ses lèvres de rage, attrape une veste posée en boule sur le bureau et s'empresse de quitter cette pièce à l'atmosphère devenue asphyxiante.

-Elle reviendra, ajouta l'homme à mi-voix.

La chaise grince bruyamment quand, enfin, Silco décide de se tourner et de faire face à la salle, se trouvant maintenant vide.

Il fait rouler le cigare entre ses doigts, fins et élégants, et tire une nouvelle bouffée, une longue bouffée. L'homme soupire de bien-être en sentant la substance enivrante envahir ses poumons.

Le nuage de fumée dissipé, deux iris à l'éclat terne, rougis et bouffis par les larmes croisent les siens et, subitement, son cœur cesse de battre dans sa poitrine.

Elle se tient au milieu de la pièce, penaude, les bras ballants.

C'était la première fois qu'il la voyait pleurer depuis le jour où il l'a recueillie. Elle avait l'air fragile, vulnérable.

Seule sur le sol, suppliant sa sœur de revenir.

Les larmes dégoulinant sur ses joues poussiéreuses.

Du sang, partout du sang.

-Jinx, qu'est-ce qui ne va pas ?

Il pose son cigare, l'air apathique et joint ses mains de manière solennelle.

A ces mots, et comme si cette question avait éveillé en elle une toute autre personne, sa moue chagrine se transforma en un large sourire. Elle renifle un grand coup.

-Oh je vais bien, ajoute-t-elle, la voix cassée.

Jinx secoue la tête légèrement et une lueur de démence se met subitement à danser dans ses yeux bleus translucides. Silco ne connaît que trop bien ce regard.

C'est d'abord un regard absolument fascinant - à mi-chemin entre la folie et la mélancolie, un regard qui fait frissonner, qui donne la chair de poule. Mais pas à lui.

Et pour une fois, elle aurait aimé avoir tort [ARCANE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant