Chapitre 1 - Le labyrinthe de Pompéi

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POV Lucretia

De toutes les nombreuses maisons du site de Pompéi, la Villa de Julia Felix est de loin ma préférée, où j'aime me réfugier les après-midis d'été écrasés de chaleur. Ses graciles colonnades m'abritent non seulement du soleil au zénith mais aussi des flots de touristes qui préfèrent généralement des monuments plus spectaculaires et des sensations plus fortes que les délicates arches du bassin de natation. C'est justement dans le jardin de cette Villa que je m'étais installée pour bouquiner le temps de la pause quand j'entendis retentir par-delà les murs de pierre ce sifflement distinctif, bref-long-bref, plusieurs fois répété, semblable au chant de la tourterelle mais reconnaissable entre mille. Le signal. Le temps de rechausser mes tongs et je suis dans la Via dell'Abbondanza où j'aperçois la crinière rousse et frisée de Viny qui dévale en direction du forum, sautant de pierre en pierre. A ses trousses, un boutonneux à casquette qui peine à la suivre, engoncé dans son jogging Tacchini et sa fausse pochette Louis Vuitton.

— Eh ! Attends-moi ! lui lance-t-il de loin en loin, le souffle court.

Mais Viny n'y prête guère attention. Au contraire, elle presse encore le pas, et, arrivée au niveau de la maison d'Iphigénie, elle tourne brusquement sur la droite, disparaissant à la vue de sa victime du jour. C'est là que j'entre en scène :

— Hé ho ! Par ici ! lancé-je.

Le garçon se retourne et me dévisage, hébété. Je lui fais signe de me rejoindre. Il hésite, tourne la tête de tous côtés, mais ne semble rien y comprendre. Il finit par revenir sur ses pas, dans ma direction. Je m'engouffre alors dans la Villa d'Octavius Quartio. Le temps qu'il s'extirpe du dédale de pièces de cette grande maison, j'ai traversé le jardin, et gagné la Via di Castricio, qui longe le fond du domaine. Quand il en sort enfin, c'est pour apercevoir Viny lui faire signe depuis chez la Vénus au Coquillage, de l'autre côté de la rue. L'exaspération gagne manifestement notre pigeon que nous prenons plaisir à déboussoler encore un peu plus de villa en villa, d'insula en insula, de domus en domus ; avant de finalement prendre la tangente à travers ces ruelles pavées que nous connaissons par cœur depuis notre plus tendre enfance.

C'est sur l'esplanade de la maison des fouilles, notre point de rendez-vous habituel, que je retrouve une Lavinia essoufflée mais hilare.

— Ah, Crécy, t'es là ! Merci pour ton aide, on l'a bien tourné en bourrique, celui-là !

— Ouais, il m'avait l'air bien perdu, en effet. Il était où ?

— Il pique-nique avec sa classe du côté de l'amphithéâtre. Ils étaient tous à courir comme des cons après les pigeons.

— Des Français, je parie !

— Dans le mille. Des 4èmes, en plus.

— Les pires...

— Mais lui, c'était le summum : il était en train d'essayer de graver son nom avec des couverts en plastique sur un bloc de pierre.

— Pathétique.

— Je lui ai raconté que Banksy avait fait pareil lors d'une visite privée et qu'on pouvait voir sa dédicace sur une fresque.

— Qui ça ?

— Ben Banksy, le graffeur anglais. Bon, enfin, bref, a-t-elle poursuivi devant mon air dubitatif, ce con m'a cru et il a voulu me suivre pour que je lui montre. Alors je lui ai concocté une petite visite à ma façon... Hé ! Hé !

— Viny, ce n'est pas très charitable !

— Tu ne peux rien dire, tu m'as aidée de ton plein gré. Et puis avoue qu'il l'avait quand même bien cherché, c't idiot. En plus, pour aggraver son cas, il avait une écharpe de la Lazio !

— Ce n'était pas la Roma, les ennemis du Napoli ? Je suis perdue, moi.

— Oh, ça, c'était avant. Moi, je préfère encore la Louve à l'Aigle...

Grace à notre position en hauteur qui offre un joli point de vue sur les toits des maisons de Pompéi et une bonne partie du site archéologique, nous n'avons pas tardé à le repérer, cette andouille de quatrième, du côté du forum, cherchant encore son chemin.

— Il n'est pas près de retrouver son groupe, savoura Viny. Ohé ! On est là ! lança-t-elle par-dessus les toits pour porter l'estocade.

C'est en se retournant dans notre direction et en nous apercevant perchées sur notre repaire, toutes les deux côte à côte, avec les mêmes boucles rousses tombant sur les mêmes silhouettes frêles et longilignes, que notre graveur de pacotille comprit un peu tard qu'il venait de se faire berner par les jumelles de Pompéi !

— Ne restons pas là, fis-je à Viny qui se délectait de l'air dépité qu'on devinait sous sa casquette trois fois trop grande. Il ne faudrait quand même pas qu'on le recroise, maintenant.

Nous nous précipitâmes à l'abri des grandes bâches de protection du chantier de fouilles, en contrebas, où nous retrouvâmes Papa à son bureau, comme bien souvent absorbé dans la lecture d'un vieux grimoire en latin. Il releva quand même le nez :

— Ah ! Mes crevettes chéries !

— Enfin, Papa ! On n'est plus des enfants, fit mine de se vexer Viny.

— C'est vrai, mes petites crevettes ont bien grandi ! Je vais vous appeler mes gambas chéries, alors !

— Hihi, minauda Viny.

Pfff... C'était leur petit jeu. Crevette ou gambas, moi je m'en fichais un peu...

Notre sourire complice n'a pas tardé à nous trahir :

— Houlà ! Je sens qu'il y a de la facétie dans l'air. Quel mauvais coup avez-vous encore monté, toutes les deux ?

— Rien, éluda suggestivement Viny.

— J'espère que vous n'avez pas encore malmené l'un de nos malheureux visiteurs ! C'est tout de même grâce à eux qu'on peut continuer nos recherches !

Papa savait bien qu'on n'hésitait pas à renseigner ou guider les touristes égarés, dans cet enchevêtrement de ruelles et de bâtiments qu'on arpentait tous les étés depuis longtemps déjà. Mais il savait aussi que si nous surprenions des comportements irrespectueux, nous pouvions être plus méchantes...

— Non non, en fin si, un peu... tentai-je de minimiser en échangeant un regard complice avec ma sœur.

Et nous éclatâmes de rire en nous mettant à la recherche des seaux et des truelles pour nous remettre à la tâche.

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Les Jumelles de PompéiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant