I - Vous ne serez pas seule

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     Ma cuillère provoque un léger bruit strident à chaque fois que je la balance dans mon bol rempli de lait et de céréales colorées. Mes yeux sont rivés sur le petit écran de télévision qui trône sur une commode en bois vieilli, proche du canapé. Le journaliste, presque chauve, hurle des insultes sur l'araignée volante du quartier. Son intonation de voix laissait paraître une véritable motivation dans le fait de démasquer notre super-héros. Mon père soupire et augmente le son de la machine où l'on peut distinguer l'identité du présentateur "J. Jonah Jameson" que tout le monde appelait JJJ.

"Seuls les lâches ne révèlent pas leur réelle identité. Seuls ceux qui ont des plans malveillants restent anonymes ! Alors Spider-Man, pourquoi gardes-tu ton masque ? Aurais-tu des choses à nous dire ?"

     Mes pensées -bien que presque inexistantes à cette heure matinale- s'entremêlent dans ma tête, et elles concernent toutes mes cours d'aujourd'hui... Mes cours d'aujourd'hui ? 

"Merde ! Je suis en retard" crie-je dans la cuisine. 

J'entends ma mère lâcher un petit rire cristallin qui illumine toute la maison et me rassurer comme elle sait si bien le faire : "Ne t'inquiète pas, je t'y amène en voiture". Mes bras qui s'agitaient dans tous les sens pour ranger mon petit-déjeuner et ranger mes affaires dans le sac se stoppent. Cette femme est ma sauveuse quotidienne.

     Une fois sorties de la maison, mon sac accroché à mon dos et mes mains visées à mon portable, nous atteignons, ma mère et moi, la voiture d'un pas rapide et décidé. Pas que j'avais spécialement envie d'aller à la fac mais disons que mon cerveau avait besoin de divertissement autre que JJJ. A peine ma mère assise devant le volant que j'avais déjà branché mon téléphone à la voiture et actionné le bouton PLAY pour lancer de la musique. Le trajet se fait alors au rythme de la chanson de Cry For Help de Rick Astley. Cette chanson était douce et envoûtante. Nous connaissons les paroles par cœur, alors, avec ma mère, nous crions ces dernières dans le petit habitacle où résonnent nos voix presque stridentes. Par habitude, je baisse le son en arrivant devant la fac où une foule d'élèves fourmille sur la route. Je souris à ma mère, la remercie pour ce moment et descends en trombe de la voiture, pressée d'être assise à ma table prédéfinie en début d'année.

     Je me glisse entre les groupes d'étudiants jusqu'à ma salle de chimie. Je n'étais pas vraiment sociable et mes seuls amis sont mon cahier, mon stylo noir et mes calculs à rallonge gribouillés sur des pages originairement blanches, noircies par des chiffres et des formules complexes. Je suis peut-être qualifiable d'intello mais mes heures de somnolence et de sommeil durant les cours m'empêchent d'avoir les félicitations en fin d'année. Le cours commence dans quelques minutes et je suis encore seule devant ma paillasse. J'ai l'habitude de respirer cette atmosphère de solitude et de calme. Après l'entrée de plusieurs élèves bruyants, la sonnerie retentit dans la totalité du bâtiment, ayant pour effet quasi immédiat un grouillement de la foule dans les couloirs, faisant remplir petit à petit la salle de chimie tantôt vide. 

     La blouse blanche sur les épaules, je rédige des calculs ci et là. J'ai beau rabaisser ma classe à longueur de journée, j'aime beaucoup le fait qu'elle soit pleine d'élèves studieux et attentifs en cours, malgré la présence de véritables cancres.

"Le développement de l'électronique a permis d'utiliser des analyseurs utilisant la transformation du Fourier rapide (FFT) permettant d'analyser la distorsion, harmonique par harmonique."* affirme le prof, concentré dans son cours. 

Il se retourne vers la classe et, d'un ton qui se voulait autoritaire, s'adresse à un élève en particulier. 

"Monsieur, Thompson, pouvez-vous répéter la méthode de mesure du taux de distorsion harmonique ?"

La Toile du MultiversOù les histoires vivent. Découvrez maintenant