Orgueil

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   De nos yeux, cela paraissait inexistant, presque indécelable. Mais, en se rapprochant, nous distinguions une lumière floue, puis un point rouge foncé, et finalement un vaisseau en flammes qui s'apprêtait à rentrer dans une atmosphère ; un vaisseau avec deux hommes en panique à son bord. 

   « L'entrée dans l'atmosphère va nous être fatale ! cria le commandant Schröder à son compagnon.

– Je vous avais dit que ce n'était pas une bonne idée, répondit l'officier Horford avec une pointe d'amertume.

– Il nous fallait du carburant, c'était soit ça, soit on restait coincé non loin d'ici à la merci des pirates de l'espace.

– Vous n'êtes même pas sûr qu'il nous manque du carburant.

– C'est vrai, mais il y a un risque, et il est grand. Il ne faut jamais écraser nos doutes par nos certitudes. N'oubliez pas ce que disait Aristote : "La colère est nécessaire ; on ne triomphe de rien sans elle, si elle ne remplit l'âme, si elle n'échauffe le cœur ; elle doit donc nous servir, non comme chef, mais comme soldat."

– Mais ça n'a rien à voir !

– Oui c'est vrai, reconnut Schröder gêné. J'ai fait une phrase lourde de sens vraiment bien tournée. Pendant un instant, comme Icare, j'ai senti des ailes pousser sur mon dos.

– Mais ses ailes n'ont pas poussé, c'est son père qui les a fabriqués pour lui. »

   Le commandant aimait ses envolées lyriques, il se sentait comme un ange jouant de la harpe quand il prononçait des paroles qui le faisaient passer pour un philosophe, un poète, un écrivain ou les trois à la fois ; de même qu'il se sentait comme un damné nageant dans le Styx quand des mésaventures de la sorte lui arrivaient. Troublé par sa vision des enfers, Schröder détourna le fil de la conversation.

   « Dites, on ne serait pas en train de se cracher ?

– Oui commandant ! répondit Horford sarcastiquement. Que vous êtes perspicace commandant ! Je me rends compte pourquoi de nous deux, vous êtes le supérieur.

– Bien, rétorqua Schröder avec le plus grand sérieux, nous allons donc nous concentrer sur les problèmes du vaisseau ; car il y a plus urgent que de nous quereller bêtement. Ceci ne nous mènerait à rien si on mourait dans les prochaines minutes. »

   Victoire pour le commandant qui réussit à ne pas trop s'approcher du soleil en surenchérissant. Il a ainsi pu avoir le dernier mot grâce à une phrase bien construite afin d'envoyer son officier au travail. Son autorité était réaffirmée. Accessoirement, ils allaient pouvoir essayer de sauver leur vie.

   Les deux compagnons se sont donc séparés pour détecter les secteurs qui seraient déficients dans le vaisseau. Ils communiquaient grâce à leur micro car la zone à couvrir était grande. Horford, ne pouvant pas supporter son supérieur et sa bêtise, avait désactivé le sien car il ne pouvait s'empêcher de grommeler des injures envers Schröder. Ce dernier, en revanche, n'arrêtait pas de le fatiguer à parler sans cesse dans le micro ; un instrument qu'il utilisait pour conserver sa légitimité à force de donner des ordres et de peindre la situation catastrophique dans laquelle ils se trouvaient :

   « Horford ! cria vivement le commandant.

– Oui, maugréa l'officier après une activation rapide de son micro.

– Je pense que le vaisseau subit un syndrome de Stockholm-Paris aiguë, nous devons agir ! Pour le remettre sur pied, il faudrait renforcer le complexe œdipien des réacteurs nucléaires pour réduire notre vitesse. Vous pouvez vous en charger ? Il me semble que c'est dans votre secteur. »

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