Chapitre 1

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          J'ouvre douloureusement les yeux. J'ai mal partout, et je suis perdue. Je me demande où je suis. En jetant un coup d'oeil autour de moi, je constate que je me trouve dans une petite pièce blanche avec, à côté de mon lit, une table où reposent des outils chirurgicaux encore emballés. Il y a aussi plusieurs plantes en pot, garnies d'imposantes fleurs rouge vif semblables à des yeux qui ont l'air de me juger depuis tous les coins de la pièce. Il y a aussi un deuxième lit de l'autre côté de la chambre. Je me demande ce qu'on m'a fait, ce qui m'amène à me poser la question qui allait définir ma vie : d'où je viens, b*rdel ? 

          J'entends un bruit de porte qui s'ouvre. Ca fait une heure que je suis là, selon l'horloge accrochée au-dessus de la porte que j'ai baptisée Béatrice, et qui est littéralement ma première amie, ou en tous cas la première chose que je croise qui me rende service. J'ai donc profité de tout ce temps libre pour examiner mon corps et, rien que sur les bras, j'ai déjà un nombre considérable de points de suture. J'ai aussi noté  que j'ai les cheveux longs et sombres, presque noirs, et la peau mate et lisse. Je suis petite et plutôt maigre, et j'ai des doigts longs et noueux.

          Perdue dans mes pensées, je me rends compte que la personne qui vient de rentrer s'adresse à moi. C'est un homme bond de grande taille et aux yeux clairs qui me parle.
- Jeune fille ? Hé, tu m'entends ?
          Je le fixe en clignant des yeux lentement, ce qui pour moi signifie clairement ''oui je t'ai entendu et je t'écoute'', mais apparemment pas pour lui car il fronce les sourcils en claquant des doigts devant mes yeux comme si j'étais complètement débile. Je soutiens son regard et je lui dis, me laissant paraître imperturbable :
- Je t'entends.
            En réalité je suis complètement perdue, je ne sais toujours pas ce que je fais là et j'ai le sentiment de me faire agresser par un parfait inconnu en blouse blanche. Je le juge rapidement du regard. À sa manière de se tordre les mains, je devine que je l'ai mis mal à l'aise. Tant mieux, ce n'est que lui rendre la monnaie de sa pièce.
- Euh, comment tu t'appelles ?
            Je prends quelques secondes pour répondre.
            Je n'y avais même pas réfléchi ! En fait, je ne connais même pas mon propre nom. Comment c'est possible ? Alors je décide de lui dire la simple vérité.
- Je ne sais pas.
           Je vois que ma réponse le déstabilisé encore plus. Il commence à chercher des moyens de se sortir de cette situation du regard autour de lui mais évidement il n'en voit aucun. Il décide alors de changer de stratégie, en passant du gentil docteur au médecin professionnel.
- Il est vrai qu'on t'avait diagnostiqué un gros traumatisme crânien, avant que tu ne te réveilles, même si je ne pensais pas que tu perdrais la mémoire, en tous cas pas à ce point. Toutefois, c'est un miracle que tu parviennes encore à t'exprimer normalement, si tu as oublié jusqu'à ton nom.
            Il marque une pause, attendant sûrement ma réaction, mais je ne sais vraiment pas que faire d'autre à part le regarder avec des yeux de merlan frit. Qu'est-ce qu'il veut que je lui dise ? Je ne sais même pas ce qu'est un traumatisme crânien !
- Tu peux continuer.
          Je lui précise, puisque apparemment, avec lui, il faut être très explicite quand on s'exprime. Toutefois, ses sourcils se froncent légèrement. Qu'est ce que j'ai dit de mal, encore ?
- Euh, oui. Donc, on t'a retrouvée dans un sale état, alors on a dû te faire beaucoup de points de suture. On te les enlèvera dans quelques jours. Et, tu as déjà dû remarquer le deuxième lit. Il sera bientôt occupé par un garçon. D'habitude, on n'aime pas trop mettre des filles et des garçons dans la même chambre, mais je suis sûr que vous allez très bien vous entendre.
           Il sourit d'un air gêné. Je fronce les sourcils. Pourquoi ce serait un problème qu'un garçon et une fille se retrouve dans la même chambre ? Quelle différence comparé à deux personnes de même sexe ? Je jette un coup d'oeil à l'infirmier. On est vraiment pas sur la même longueur d'onde, tous les deux, je l'ai déjà bien assez gêné comme ça, alors je ne lui poserai pas la question. Mais ce est pas ainsi qu'il interprète mon regard.
- Euh, si ça te met vraiment trop mal à l'aise, on peut essayer de vous mettre dans des chambres séparées. On a plus beaucoup de places à l'hôpital en ce moment, mais...
- Ca ne me pose pas de problème.
-... Je vais te laisser te reposer. Tu vas avoir besoin de beaucoup de sommeil.
         Et il s'enfuit à grands pas après avoir soigneusement refermé la porte derrière lui. J'entends longtemps ses chaussures claquer sur le carrelage lisse du couloir.
        
           Quand enfin je ne perçois plus le claquement sourd de ses talons je m'autorise à souffler tout l'air de mon corps en m'écroulant sur mon lit. Un coup d'oeil vers Béatrice m'indique que ce long et malaisant dialogue a duré un quart d'heure. Un long quart d'heure entier durant lequel j'ai compris que je ne m'exprimais pas comme cette personne, et que je ne voulais pas m'exprimer comme elle. Sauf que j'ai aussi compris que si je veux m'adapter à ce monde, je devrais faire des choix, et certains impliqueront de laisser une part de moi-même derrière moi.
                 Je choisis d'éviter à tout prix les moments comme celui-ci.
                Et pour ça, je vais devoir observer, apprendre et comprendre.

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