LA NUIT SERA CALME [Livaï x OC]

1 . Retour au bercail

Dans l'obscurité insondable de la région de Trost, un calme sinistre régnait en maître, tel un voile funèbre étendu sur une terre abandonnée par la vie. La nuit, impitoyable et oppressante, rendait la visibilité presque nulle pour quiconque osait s'aventurer en ces lieux désolés.

Au milieu de cette noirceur, se dessinait la silhouette élancée d'un cheval, son cavalier se tenant immobile, tel une statue macabre, attentif au moindre bruit émanant de l'obscurité. Derrière lui, un petit groupe de soldats enveloppés dans des tenues noires, les recouvrant des pieds jusqu'au menton, se tenait en formation serrée sur une petite colline, leurs regards fixés sur les immenses murs se dressant non loin.

Les cavaliers, silencieux comme des spectres, semblaient se fondre dans l'ombre nocturne, devenant aussi terrifiants qu'impressionnants. Le froid mordant de la nuit ne semblait pas les affecter; ils restaient inébranlables sur leurs montures.

À la tête de ce groupe, Melinda observait les remparts monumentaux protégeant la cité du Paradis. Malgré l'obscurité profonde, elle distinguait avec une clarté surnaturelle les sculptures ornementales des murs. Un frisson glacé la traversa à cette vue, alors que les murmures des dieux des murs, comme les appelait un religieux, résonnaient dans son esprit tourmenté.

Des dieux, pensa Melinda avec sarcasme, dédaignant les murs d'un regard acéré. Il n'y a pas de dieux, seulement des hommes prétendant à la divinité.

Bien que seule la pleine lune éclairait l'éléphantesque architecture, le fait de la revoir lui provoquait une ribambelle de frissons de dégoût mais également d'angoisse. Après tout, la dernière fois qu'elle avait franchi ses murs, c'était sous l'identité d'une traite. Elle se voyait fondre dans la nuit, se dirigeant vers un petit groupe de soldats de garnison dont le visage était hostile. À la lueur des lanternes, seul un visage lui avait permis de ne pas flancher.

Celui d'Erwin Smith.

Le major avait toujours été un des rares humains à la considérer comme son égal, sans jamais la regarder comme un monstre. A cette pensée, Melinda sentit son coeur se gonfler légèrement de bonheur en songeant qu'elle laissait son regard ambré balayer la plaine plongée dans le noir.

— Tout va bien ?

La voix profonde et riche qui se rapprochait d'elle se mit à la même hauteur qu'elle pour la lorgner de son regard azur. Ce dernier était si lumineux que ses pupilles étaient comme deux joyaux qui brillaient dans la nuit. Melinda fit un geste rude de la tête en guise de réponse, la gorge beaucoup trop sèche pour émettre un son sans trémolo. Elle ne pouvait pas répondre au risque de briser l 'accalmie dans lequel elle aimait tant se plonger et s'ensevelir. La nuit était si paisible et

— Nous avons le temps avant de nous présenter au bataillon, continua l'homme. Le soleil ne se lève que dans 8 heures.

— Je sais Nat, répliqua calmement Mélinda tandis que ses mains gantées enserraient davantage les rênes de sa monture pour se donner plus de contenance.

Garder le contrôle était son leitmotiv depuis tant d'années qu'elle s'accrochait à cette idée comme si rien d'autre ne comptait. Elle releva son menton en inspirant profondément, laissant l'odeur des animaux alentour assaillir ses narines. Elles aiment ce genre d'instant. C'était comme si le temps était suspendu et que personne ne pourrait lui faire le moindre mal.

— Nous pouvons encore faire demi-tour si tu le veux. Nous te suivrons tous, assure-t-il en jetant un bref regard à ses soldats.

À regret, elle s'arracha à sa rêverie mélancolique, ses yeux ambrés cherchant à capturer ceux du soldat. Une vague de reconnaissance l'envahit, douce et inattendue, pourtant, elle savait qu'elle ne pouvait se permettre de céder aux spectres de son passé en un moment si décisif.