La légende de Naota

La légende de Naota

Il faisait nuit. Une de ces nuits glacées où l’on rêverait d’être devant un feu de cheminée, de boire une tisane bien chaude, en fait d’être n’importe où ailleurs qu’à l’orée d’une sombre forêt peuplée de chênes massifs, en pleine nuit d’hiver. Au loin, une détonation retentissait, les vagues s’écrasaient sur le rivage en un bruit sourd. J’étais tétanisée par le froid, mes muscles étaient tellement crispés que j’en avais mal, mes dents claquaient, mes cheveux me tapaient violemment le visage, tandis que des larmes coulaient le long de mes joues, chaudement, mais en silence. Il faisait si froid qu’elles auraient pu se transformer en glace, et mon corps chétif s’envoler au vent. Je voulais voir cet endroit de mes propres yeux, cet endroit dont elle m’avait tant parlé. Je me retournais et contemplais une étendue d’océan, où l’on apercevait des reflets d’argent, scintillant sur les vagues. Je levais la tête et réalisais que c’était l’astre de la nuit qui dépeignait ses belles couleurs sur l’océan. Je ne pouvais retenir un sourire, c’était encore plus beau que dans mon imagination. Je ne pensais pas que ce pourrait être si apaisant. J’avais toujours imaginé cela comme effrayant, comme un monde à part, peuplé de ces créatures surnaturelles et autres monstres marins. En fait, elle me l’avait toujours raconté comme cela, et moi j’y avais cru dur comme fer pendant toutes ces années. Je voulais parler de ma mère. Elle nous a quitté il y a quelques mois, une fichue maladie qui ne se soigne pas. J’ai eu du mal à me trouver une raison d’être depuis, je me suis renfermée dans ma carapace. Mon père n’a pas tenu le coup, il s’est enfermé dans l’alcool et a abandonné son travail. Chaque soir, ma mère me racontait « la légende de Naota », un monde caché sous l’océan à quelques kilomètres de chez nous.

Sous la mer de Naota

Se cachait un monde extra

Un endroit utopique

Où régnait un sentiment magique

Gare à toi si tu y mets les pieds

Car ton destin y sera scellé

Chantonnait ma mère en me caressant les cheveux, alors que j’étais blottie sous ma couverture. Comme chaque soir, je l’écoutais en silence, des étoiles plein les yeux, avec la certitude que cette légende était vraie. Lorsqu’elle terminait sa chanson, je posais la même question que tous les jours : « Maman, ce lieu existe vraiment ? 

-Oui ma chérie, regarde sur ta carte. » Dit-elle en pointant du doigt la carte de notre région.

Et comme toujours, j’étais persuadée qu’elle avait raison. Sur la carte de la République Dominicaine, un petit point indiquait Naota. Nous n’avions jamais osé y aller. Je la suppliais de m’en dire plus.

- « Comme je te le répète tous les soirs, Naota était un monde caché sous la mer, un monde certes magique, mais dangereux. Il était gardé par une reine, à l’apparence de sirène, on racontait qu’elle était réputée pour sa beauté. Elle dominait un royaume peuplé de poissons-hommes et autres créatures. Là-bas tout y était paradisiaque, la paix régnait, personne ne pouvait troubler ce calme. Mais la légende a commencé quand un jeune garçon s’est approché trop près du rivage, il est tombé dans l’eau et a été emporté dans les abysses. Il s’est transformé lui-même en homme-poisson, et s’est retrouvé coincé dans cet étrange univers. Il a vite appris à se débrouiller avec cette nouvelle apparence et compris qu’il pouvait retrouver son apparence humaine en sortant de l’eau. C’est là qu’il est tombé sur un autre petit garçon, il ne lui a pas laissé le choix et l’a attiré à son tour dans les profondeurs. Il prenait goût à emmener chaque enfant dans l’océan, pour les effrayer. Mais jamais il ne leur a expliqué qu’ils avaient juste à sortir de l’eau pour retrouver leur forme humaine. Les enfants croyaient alors qu’ils étaient enfermés à tout jamais au fond de l’océan ! Et depuis, on raconte que ce garçon sort de sa cachette à chaque pleine lune et qu’il entraîne celui ou celle qui oserait rôder sur la plage de Naota. » Racontait ma mère avec le même ton mystérieux que d’habitude.