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Comme pour toutes les explosions, tout a commencé par une guerre.

Le monde, enfin mon monde, fut parfait pendant un temps, le monde idéal, mon monde rêvé. Mais à cette époque je ne m'en rendais pas compte. L'insouciance de l'enfance me faisait penser que la vie se résumait simplement à se lever le matin, aller à l'école, entendre toute la journée les explications inutiles de la maîtresse, revenir à la maison et rebelote.

Mais la 6e m'a fait découvrir un tout autre monde. Au début je ne le détestais pas, c'était plutôt de l'incompréhension ou même de la surprise vis-à-vis des comportements de mes camarades, qui me paraissaient étranges. C'était comme si j'étais une immigrée, qui ne connaissait pas les coutumes locales. Alors, comme tout immigré, j'entrai d'abord dans une phase d'observation.

Une des premières traditions qui me frappa, c'était la bise. En effet, toutes les collégiennes se faisaient la bise en arrivant en cours. Ce n'est pas l'action de se faire la bise qui me surprenait, mais c'était le fait de voir des personnes de mon âge faire ce geste (que moi j'associais à un signe d'affection particulière envers un individu adulte vu rarement) à d'autres personnes ayant vécu à peine 1/8 de leur vie.

Bref, cette ignorance m'a value de nombreux rires. Premier lundi matin, une camarade de classe avance dans ma direction. Je vois qu'elle s'approche de plus en plus de moi. Je commence à redouter le pire, qu'est-ce que cette fille à qui je n'ai jamais parlé (ou très peu) voudrait me dire ? Puis je la vois, plantée en face de moi. Elle se penche vers mon oreille avec un sourire amical. Mais nous ne sommes pas amies, que voudrait-elle me confier ?

Alors, dans ma plus grande confusion, je donnai mon oreille droite à sa bouche. Mais je ne perçus aucun son, sauf quelques rires parvenant de mon oreille gauche. Je ne compris qu'après les intentions initiales de ma camarade.



Au fil des années, je réussis à intégrer ces codes, ces hiérarchies sociales et tous ces non-dits propres au collège. J'étais devenue une vraie collégienne, avec ses baskets, son jean et ses sweats « over size ». J'avais même adopté la pensée limitée de ces gens-là : la propagande invisible visant à mépriser les autres pour leurs centres d'intérêt, leur vocabulaire ou leur style vestimentaire, avait réussi à m'influencer. Ou du moins avait réussi à influencer la version falsifiée de moi-même que j'empruntais pour me fondre dans cette masse d'androïdes. Sûrement plusieurs d'entre eux sont aussi en mission : des centaines d'espions Incognito, qui sont tous camouflés différemment. Certains optent pour l'attitude de bimbo parfaite : une fille pas très intelligente, avec un rire de bécasse, fan de haute couture et pour finir un peu méchante. Ce type de déguisement marche à tous les coups, surtout auprès des garçons et des filles sans trop de personnalité.

Après, il y a le clown nonchalant : c'est ce garçon au fond de la classe qui crie des blagues qu'il recycle depuis le début du collège et manque de tomber de sa chaise à chaque cours quand il la fait basculer un peu trop loin de la table. Lui, tout le monde l'aime bien, mais il me fait de la peine. Ça se voit qu'il n'a pas de vrais amis, qu'il se sent seul.

Enfin il y a les autres, les petits chiens. Dans un échiquier, eux seraient les pions. Ils sont importants bien sûr, mais s'il fallait choisir entre les bimbos, les clowns et les petits chiens, ils seraient les premiers à être sacrifiés.

Toutes ces personnes ont une mission : ne pas dévoiler leur authenticité, la beauté de leur vrai visage, les complexités de leurs personnalités, enterrer le vrai soi, l'étouffer, jusqu'à l'oublier.

On a en fait affaire à un dédoublement de la personne : l'espion se bat contre son double, mal-aimé, l'évite, le fuit, et en même temps essaye de se persuader que l'identité qu'il utilise autour de ses soit disant semblables, est juste le fruit d'un développement personnel, qui lui a permis de comprendre les vrais codes sociaux, ceux des personnes matures.



« Ceux qui se trouvaient là lui disaient à leur tour : « Sûrement tu es l'un d'entre eux ! D'ailleurs, tu es Galiléen. » Alors il se mit à protester violemment et à jurer : « Je ne connais pas cet homme dont vous parlez. » Et aussitôt, pour la seconde fois, un coq chanta. Alors Pierre se rappela cette parole que Jésus lui avait dite : « Avant que le coq chante deux fois, tu m'auras renié trois fois. » Et il fondit en larmes. »

À la Recherche du VraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant