chapitre 1

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« Seul notre passé peut répondre aux questions. Si tu te les poses si souvent, c'est qu'il se trouve quelque part dans ta tête la réponse. »

Seul le passé connait les réponses que nous avons cherchées dans notre mémoire. Ces souvenirs, que nous ne reverrons jamais plus. Quand nous sommes jeunes, nous identifions le monde comme un grand parc de jeu, chaque mètre carré d'herbe, le lieu où nos pieds rencontrent la terre, où nous courions, sautions et dansions ; le monde nous gâtait de la tendresse des roses mais aussi des égratignures auxquels nous succombions. Puis le monde s'arrête. Tout ce dont à quoi nous pensions semble disparaître derrière nous pour laisser place à la douleur de la griffure. Nous contemplons bien plus longtemps notre doigt meurtri que l'épine, mais si nous relevions la tête, nous tomberions nez à nez avec la pointe tranchante mais si envoûtante de la fleur. Si charmé que nous aurions presque envie d'y retoucher, tant bien même qu'elle nous écorcherait encore et encore.

Blue revint à l'intérieur, manquant de peu de se cogner contre l'encadrement, l'ouverture de la porte vitrée si mince que seul le corps de la jeune fille passait.

« - Maman, regarde, j'ai mal.

- Tu as touché les roses que grand-père nous a offerts ? Constata sa mère en attrapant brutalement sa main.

- Non ! Ce n'est pas vrai, c'est elles qui m'ont touchée-

- C'en est trop, vas-t-en d'ici et laisse moi tranquille. Et ne retouche pas à ces fleurs, c'est bien compris ? »

L'enfant se crispa face à l'attitude, une nouvelle fois, nonchalante de sa mère. Elle l'ignora cependant et revint sur ces pas, après s'être précipitée dans sa chambre pour récupérer ce paquet de feuilles qu'elle avait agrafé ensemble. Elle hasarda l'amas de pages face à sa mère.

« - Je ne t'ai pas dit de t'en aller, s'agaça-t-elle, avant de scruter la jeune enfant, se tenant timidement sur ses deux pieds, transperçant la femme avec son expression. »

Elle empoigna le paquet et y jeta un œil douteux. Elle tournait les pages une à une, puis deux par deux, et enfin en sautait plusieurs par mouvement. Le visage de la fillette s'embrasait d'un sourire.

« - T'aimes bien, maman ? C'est moi qui ai tout écrit ! Et aussi Vanille m'a aidée, elle m'a dit que ce serait une bonne idée de vous montrer à quoi ressemble le champ de fleurs, mais je n'ai pas de photos alors je l'ai écrit. En fait, j'ai tout écrit. J'ai parlé de la maison, à cette page là. »

Elle pointa du doigt un paragraphe calligraphié maladroitement avec l'écriture d'une enfant de 7 ans.

« - Je n'ai pas le temps de lire tout ça, Blue. Et puis je ne comprends rien, c'est du braille. Entraine toi plutôt à aligner correctement tes lettres au lieu de gaspiller du papier. »

Elle retourna le paquet à l'enfant, et reprit ses activités, accoudée à son bureau. Les dossiers médicaux envahissaient la surface du meuble, on ne discernait presque plus le bois. Blue jaugea sa mère encore une fois, puis abdiqua et quitta les lieux. Ce n'était pas nouveau, rien de grave, pas besoin de s'en faire.

Ce livre que Blue avait écrit, elle le conservait encore, tous les prénoms et visages de ses amis imaginaires avaient bouleversé sa vie. Ses parents n'avaient jamais réagi de la manière que convoitait l'enfant. Ils étaient trop occupés avec leurs travails, leurs autres enfants et leur propre vie pour s'intéresser à l'ouvrage d'une enfant de 7 ans. Blue parlait souvent de ses amis aux pouvoirs fantastiques, de ce monde aux allures surnaturelles, de ces forêts étranges et mystérieuses. Cela était un quotidien banal pour une enfant d'imaginer, mais d'écrire ses rêves, cela semblait étrange. Ses parents avaient consulté une pédopsychiatre afin de savoir ce qu'il se tramait dans la tête de leur cadette. Aucune réponse exacte ne fut donnée. Ils répétaient que ce n'était qu'une phase, que tous les enfants avaient des amis imaginaires et que cela lui passerait.

La toile blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant