Chapitre 1

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Des exclamations surgissaient hors du pub et éclaboussaient le trottoir noir. La nuit avait depuis longtemps envahi le ciel, teignant le paysage d'un noir d'encre. La lune trônait au milieu des astres nocturnes, régnant sur la ville sombre. La rue était plongée dans un silence brisé par les cris des hommes ivres qui s'échappaient par bribes du pub miteux à la porte éclairée par un vieux néon rouge. Les voix sifflaient dans l'air frai de la nuit d'automne, emplissant l'espace sonore. Des relents d'alcool, de vomi et de pisse se dégageaient du vieux pub. Une musique punk des années soixante-dix retentissait en continu, comme le battement du cœur du pub louche.

A l'intérieur, une dizaine d'hommes d'âge moyen, verre à la main, parlaient d'une voix forte et comme enrouée par l'alcool. Ils étaient affalés sur les chaises hautes qui entouraient le comptoir, derrière lequel se tenait le vieux barman au regard pervers. Les quelques tables en bois étaient abandonnées, laissées sur le côté près des portes qui menaient au deux chambres prévues pour des "divertissements" avec des femmes. La conversation partait dans les graves et la colère montait, alourdissant l'ambiance. Une porte s'ouvrit, laissant entrer un quarantenaire et une jeune fille, qui s'échappa rapidement dans la rue. L'homme rejoignit les autres au comptoir, calmant légèrement le jeu. La musique pulsait dans la salle. Au même moment, une jeune femme se leva de l'ombre où elle était assise, près du bar, et se mit à monter sur le comptoir. Elle était jeune et semblait avoir vingt ans. Sa démarche était maladroite, et elle manqua de tomber quand elle se dressa de sa haute taille. Elle se rattrapa de son bras gauche sur lequel s'étalait des flammes d'encres tatouées sur sa peau. Ses hanches se balançaient alors qu'elle tournait sur elle-même, comme pour montrer aux hommes aux yeux pervers son décolleté et sa mini-jupe noire. Seul un collant couvrait ses jambes sculptées du regard envieux des hommes qui l'entouraient. Elle promena son regard sur l'assemblée qui s'attardait sur sa mini-jupe qui ne servait plus à rien depuis là où elle se trouvait. Ses yeux étrangement verrons, le gauche d'un rouge sang, le droit couleur or, probablement recouverts de lentilles de contacts, étaient embrumés par l'alcool. Un petit tatouage d'une étoile à cinq branche à l'envers, signe de la Bête à corne, ornait le coin de son visage, à côté de son œil droit.

Sa voix résonna, envoûtante, tâtonnante, et les phéromones emplir l'air de leur odeur masculine. Elle s'exprimait alors que son corps se mouvait comme un chat, avec une élégance sauvage. Son charisme était indéniable, de même que son expérience dans le domaine de la séduction. Elle semblait jeune, et sa voix cristalline ne faisait que renforcer cette impression.

 —  Je tiens pas l'alcool ! s'écria-t-elle, d'une voix forte qui surpassa la musique. Mais moi au moins j'en fais pas tout un drame. De toute façon, je récupère vite !

Les hommes rirent à cette déclaration. Sa voix, bien que magnifique, était abrutie par l'alcool. Son haleine reflétait elle aussi son évident état d'ivresse.

— Vous savez quoi ? Je suis un démon !

Sa voix éraillée marqua une pause sur le dernier mot. Les hommes restèrent gênés un instant, comme terrifiés, avant de rire de plus belle, comme pour briser la peur qui surtendait leur rire, le rendant un peu trop aigu, un peu trop fort. Ils regardèrent le crâne de la femme, comme à la recherche de cornes rouges entre les cheveux roux sur lesquels s'éparpillaient des mèches dorées. La longue tresse tombait sur une de ses épaules, bougeant au rythme des pas de la jeune femme, comme un serpent.

 — Et je vais tous vous maudire !

De nouveaux éclats de rire.

 — D'une façon extrême !

La voix de la femme tremblait tant elle était ivre.

  — La prochaine fois que vous tromperez une femme, vous mourrez dans d'atroces souffrances !

S'en suivi un silence horrible, menaçant, avant que le premier rire explose, venant du barman.

 — Toi, ma fille, tu es une sacrée menteuse !

 — Parce que vous ne mentez jamais, peut-être ?

Son regard faussement innocent en disait long sur ce qu'elle savais, mais le barman l'ignora.

 — Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, jeune fille.

Nouvelle salve de rire de la part des hommes, qui assistaient avec amusement à la joute verbale.

 — Allez-y, bande de salauds, rabaissez-moi devant une jeune fille qui a de toute évidence besoin de jouir !

Les rires s'amplifièrent.

 — Je pense que je vais vous réserver un sort unique.

Le regard indéfinissable de la jeune femme restait braqué sur le barman, quand elle reprit d'un sérieux déconcertant.

 — Quel est votre nom ?

Surpris, l'homme répondit :

 —  Fernando Fox. Mais pourquoi... ?

— Je vais vous maudire. De toute ma force de démon. De tout ce pouvoir qui coule dans mes veines, si puissant que je ne sais plus quoi en faire. Je vous le dis, haut et fort, à vous, Fernando Fox : le prochain mensonge que vous prononcerez sera le dernier. Que la mort vous emporte si vous osez dénier la vérité encore une fois.

Les yeux de la jeune fille semblaient briller plus fort, peut-être à cause de l'alcool. Le silence consterné dura de longues minutes, jusqu'à ce que le barman réponde :

— Je n'y crois pas une seule seconde.

Le silence se fit de nouveau, alors que le temps sembla ralentir. Puis, des cris résonnèrent. L'horreur emplit la salle, alors que le cadavre s'écroulait sur le sol. La jeune femme, soudain dégrisée, murmura un "merde", alors que les hommes, terrifiés, s'écartaient d'elle. Certains fuirent en courant du pub, d'autres firent des signes de croix sur leur poitrine, d'autres encore crièrent : "démone !". La femme descendit du comptoir, ayant reprit entièrement ses moyens. Elle s'échappa dans la rue, laissant les hommes terrorisés se morfondre sur le cadavre. Sa silhouette féminine, surréaliste, s'effaça dans la nuit noire alors qu'elle s'enfonçait dans la ville bruyante.

HybrideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant