Chapitre 2

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Elle reposa la lettre sur son enveloppe blanche. La table jalonnée de poussière et de crasse était juste en face d'elle. Elle fit demi-tour et se dirigea vers la porte de son petite appartement miteux et morne, qui ne lui servait que pour cuver avant de retourner boire. Elle s'arrêta devant un meuble et prit dans ses mains une petite boîte noire qu'elle s'empressa d'ouvrir. Elle en sortit deux lentilles de contact brunes qu'elle posa sur ses iris. Elle soupira, repensant à son stupide oubli le dernier soir, et ouvrit la porte. L'air frai lui picota les narines alors qu'elle marchait en direction des banlieues.

La lettre lui posait quelques problèmes. Elle disait qu'elle était convoquée au tribunal civique à cause de l'affaire au pub. Le seul moyen qu'une affaire comme cela se retrouve au tribunal aussi vite était l'influence d'un homme haut placé, qui devait se trouver au pub le soir où c'était arrivé. Il avait dû relever son nom et appeler la police, terrorisé par ce qui pourrait lui arriver à lui vu les conséquences sur le barman. Comme quoi, même les hommes riches se livrent aux plaisirs des banlieues. Elle chassa les souvenirs qui affluaient à la surface.

Ses pas résonnaient dans les petites rues désertes, à peine assez larges pour la laisser passer.  Son long manteau noir qui recouvrait son corps presque nu flottait derrière elle et le vent invisible le faisait battre dans l'air à un rythme irrégulier. Ses yeux flamboyaient dans la pénombre des ruelles. Ses talons claquaient le sol en brisant le silence emplit de menaces. Ses pas élancés fendaient les distances à la recherche d'un quelconque bar ou pub où elle pourrait se bourrer la gueule pour noyer les souvenirs dans de l'alcool trop fort. Sa gorge sèche n'attendait que ça.

Les ruelles s'enchaînaient et bientôt s'agrandirent. Elle commença à croiser des gens au pas aussi pressé que le sien. Les bars se succédaient, petits établissements mornes dans lesquels moisissaient les plus pauvres. Elle arriva sur une rue où le néon servait de lampadaire, éclairant les trottoirs de sa lumière diffuse qui ventait les mérites de plusieurs enseignes. Les tags fleurissaient, de même que les publicités pour certains produits illégaux, vendus en nombre dans ce quartier de banlieue.

Elle pénétra dans la première porte à sa gauche, au dessus de laquelle était écrit en gros : Cuvée de la Grenouille. L'établissement était moins vieux, moins miteux et moins malfamé que celui de l'autre soir. A l'intérieur, des hommes de tous âges et quelques femmes, accompagnées ou pas, qui ne semblait pas là pour plus que boire. Elle non plus d'avait aucune envie de faire profiter à un homme de son corps. Elle s'assit au comptoir et commanda un verre de Cognac. Sirotant sa boisson, elle observa la salle. Un groupe de femmes parlait bruyamment dans un coin, des cartes de poker étalées entre elles. Un jeune homme solitaire les regardait avec lassitude. Quelque quarantenaires échangeaient des blagues perverses en jetant de temps en temps un regard plein de sous-entendus aux groupe de jeune filles. Le barman semblait sérieux ; aucune chance qu'il ne se fasse maudire se soir. La jeune femme souhaitait éviter les ennuis, mais elle ne pouvait s'empêcher de guetter la réaction des gens, cherchant une potentielle commande. Elle soupira devant son obsession pour son travail, et fini son verre d'une traite avant d'en commander un autre.

Le jeune solitaire se leva et s'approcha de la sortie. Au dernier moment, il se ravisa et prit la direction du comptoir. Il s'assit à côté de la jeune femme et demanda une pinte de bière. Il l'avala d'une traite, avant de poser son attention sur la jeune femme à ses côté. Elle soutint son regard de ses yeux perçants. Il ouvrit la bouche comme pour parler mais la referma aussitôt et replongea son regard dans son verre vide. 

La jeune femme détourna elle aussi le regard. Elle ne voulait pas parler, encore moins à un un jeune qui semblait suicidaire. Elle soupira  en sentant qu'une partie d'elle aurait voulu parler au jeune homme, lui demander ce qui n'allait pas, l'aider. Elle savait qu'il allait mal, pourquoi ne rien dire ? Elle fit taire sa raison et prit encore un verre. L'alcool commençait à agir. Ses yeux s'embuaient et son cerveau ralentissait. Elle voyait comme à travers un voile. Ses pensées étaient engluées, lui laissant un instant de repos.

Elle prit verre sur verre, gardant son mutisme dans un état d'ivresse profond. Elle ne prit pas ses aises, ne dit pas de propos stupides, n'enleva pas son manteau, se contentant de mettre sa vie en pause. Un instant de répit, c'était tout ce qu'elle demandait. Ce monde trop lourd qui la portait depuis trop longtemps et qui ne semblait pas vouloir d'elle lui semblait infernal, de même que l'espèce qui croyait le dirigeait. Pour toujours à part, séparée de l'espèce humaine à cause d'un amour d'adolescente...

Elle écarta ses souvenirs d'un nouveau verre. Le jeune homme fini par se lever. Sans réfléchir, comme mue par la volonté de quelqu'un d'autre, elle tendit la main et attrapa le bras du garçon d'une poigne ferme.

 — Ne fait rien de stupide.

Sa propre voix lui semblait loin, comme si elle était plongée sous la mer. Elle ne voulait pas de cette conscience, elle ne voulait pas de cette raison. Cette partie d'elle qui se souciait des autres l'importuner, mais malgré tout ce qu'elle faisait pour la faire taire, elle revenait toujours. Le jeune homme la regarda, effrayé par sa voix éraillée par l'alcool et très sérieuse, trop sérieuse et par sa subite action. Il acquiesça d'un mouvement de la tête et elle lâcha son bras. Il s'enfuit sans demander son reste, ombre en peine dans le nuit aussi noire que son âme.

Elle resta un moment à fixer son verre, la tête dans ses pensées. Quand le barman lui proposa un nouveau verre de Cognac, elle refusa d'un simple mouvement de tête. Elle se leva et sortit par la porte, laissant derrière elle un pourboire trop généreux pour ce qu'elle était.

Elle marcha le plus vite qu'elle pouvait jusque chez elle. Elle n'en pouvait plus ; la fatigue s'insinuait en elle, et la chaleur de l'alcool ne pouvait combattre le froid de l'air nocturne. Elle frissonna dans son long manteau. Ses habits étaient presque inexistants. Devant son immeuble, elle se dépêcha de monter les marches jusqu'au cinquième étage, où elle ouvrit la porte de son appartement.

Enfin à l'intérieur, elle s'écroula sur le canapé et s'enveloppa dans une couverture de laine qui gratte. Elle s'assoupit rapidement, abattue par le manque de sommeil. Elle ne remarqua même pas la fenêtre ouverte, ni la petite carte posée sur la lettre du tribunal, d'un rouge sang trop familier.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 14, 2022 ⏰

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