1. Apolyne Roy

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– « Cette frange pouvait être sournoise, délicate, voire médiocre. Parfois héroïque. Mais toujours mystérieuse. Sans aucun doute. »1. Voilà ! Fini.

(1. Dernière phrase du roman Le grand déballage par Elaine.L Konigsburg)

La jeune fille à la chevelure rousse referma le livre et le déposa délicatement sur la table. Elle leva les yeux sur ses comparses à qui elle venait de faire la lecture. Chaque dimanche, elle se rendait à la maison de retraite pour voir son grand-père, mais également passer un peu de temps avec les résidents qui n'avaient plus la chance d'avoir des proches auprès d'eux. Elle aimait bien leur compagnie, bien plus que celle des gens de son âge. Elle savait qu'ici tout le monde l'adorait et attendait avec impatience sa visite du dimanche qui venait égayer leur semaine.

– Mais comment une frange peut-elle être héroïque ? C'est à n'y rien comprendre.

– Enfin Josiane fais un effort ! Tu n'as rien suivi de l'histoire. On se demande pourquoi la p'tiote s'évertue à nous faire la lecture ! Il n'y a que des ingrats ici, regarde-moi ça.

La vieille femme tapa frénétiquement des mains afin de réveiller l'un de ses confrères qui s'était assoupi.

– Ce n'est rien Anne, ne t'en fait pas pour ça, la coupa Apolyne. Laisse-le dormir.

Le sourire franc de la jeune fille dérida un peu la vieille Anne.

– Faut-y aller Apo, cria une voix émanant du couloir.

L'horaire des visites n'était pas encore terminé, mais les soignants avaient avec le temps compris qu'il fallait prévenir la jeune fille au moins un bon quart d'heure à l'avance s'ils voulaient espérer qu'elle soit partie à temps. Les aurevoirs hebdomadaires avaient tendance à s'éterniser.

Apolyne embrassa son grand-père, qui ne l'avait pas quitté des yeux de toute l'après-midi. Sa petite-fille était devenue l'attraction phare de cette maison de retraite depuis sa première venue et il avait dû se faire à l'idée de la partager, bien malgré lui. Il avait fini par plutôt bien s'accommoder et prenait un malin plaisir à la voir gentiment clouer le bec de certaines mégères.

– Au revoir tout le monde, lança la jeune fille en agitant énergiquement sa main.

Plus de trois quart d'heure de trajet l'attendait maintenant avant de pouvoir passer le pas de chez elle. Mais ce n'était pas un problème, elle avait tout son temps. Elle enfonça ses écouteurs dans ses oreilles et se mit en marche jusqu'à la station de métro la plus proche. Apolyne appréciait tout particulièrement ses moments, rien qu'elle et sa musique, rien qu'elle et ses pensées. Dans les transports ils avaient une saveur particulière.

Au moment de passer la porte de l'appartement, elle retient son souffle, une habitude qu'elle avait prise au fil du temps. Elle savait pertinemment que l'appartement serait désert, que sa mère ne rentrerait pas avant des heures, et pourtant elle ne pouvait s'empêcher d'espérer le contraire à chaque fois qu'elle ouvrait cette porte. Elle le souhaitait si fort qu'elle en oubliait de respirer. Mais ce soir, encore une fois, ses supplications intérieures furent vaines.

L'appartement était plongé dans l'obscurité et le silence le plus absolu. Elle se permit enfin de relâcher son souffle d'un un long soupir. Ce soir encore elle serait seule.

Elle jeta nonchalamment les clés dans la corbeille prévu à cet effet et son premier réflexe fut de se diriger vers la cuisine. Ce soir elle n'était pas d'humeur à cuisiner quelque chose de complexe, ou même de cuisiner tout court. Non, ce soir ce serait milkshake et toutes sortes de cochonneries pour aller avec.

Son plateau en main, elle s'installa confortablement sur le canapé. Quitte à manger n'importe quoi, autant le faire devant la télé.

L'émission tournait encore en fond, Apolyne était tombé de fatigue sur le canapé. La journée n'avait pas été particulièrement fatigante mais le sommeil avait tendance à la fuir chaque soir, alors pour une fois qu'il venait sans rechigner elle n'allait pas le combattre.

Downfall of the magic railsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant