4. La compote sur le gâteau sec

28 4 3
                                    

Apolyne savait que sa diversion n'allait pas durer très longtemps. La ligne droite qu'offrait les rails était la plus dégagée, pour fuir. Elle n'avait qu'une trentaine de mètres à parcourir avant de pouvoir se mettre à l'abris derrière un bâtiment. Elle pouvait le faire.

Elle courut aussi vite qu'elle le put. D'ordinaire elle n'était pas mauvaise coureuse, elle manquait clairement d'endurance à l'inverse, se défendait en vitesse, malheureusement, actuellement chacun de ses muscles lui était douloureux. Au moindre mouvement, ils lui procuraient une raideur intense des épaules aux cuisses, et elle eut toutes les peines du monde à parcourir ces trente mètres, mais malgré la souffrance elle donna son maximum. C'était l'adrénaline qui avait motivé chacune de ses actions car son cerveau avait rendu l'âme depuis un moment. Il n'avait pas supporté le choc et Apolyne avait alors laissé son instinct la guider.

Une fois à « l'abri » elle laissa éclater le flot de pensées qu'elle avait retenu jusque-là de peur de se retrouver paralysée. Une vague d'émotion déferla en elle comme un tsunami. Incompréhension, peur, fierté, joie, tristesse, colère, excitation. Tout se mélangeait.

Rien. Elle ne comprenait rien, pourtant les émotions continuaient d'arriver de plus en plus forte si bien qu'elle finit par s'écrouler au sol, avachie contre un mur. Des larmes coulèrent le long de ses joues. Si elle avait eu quelque chose en main, elle l'aurait balancé de toutes ses forces, mais elle n'en avait pas. Les larmes étaient le seul moyen que son corps avait trouvé pour drainer l'inondation de sentiments contradictoires.

Ça lui arrivait de pleurer, comme tout le monde, mais elle était plutôt dans la moyenne basse niveau sensibilité. Là où certains géraient leurs émotions par les larmes, pour elle ça passait souvent par la colère. Mais aujourd'hui, elle n'avait personne contre qui s'énerver. A qui faire porter le chapeau de ce qui lui arrivait ? Aux rails ? Pour quoi faire ? Ce n'était que des barres de métal dénuées de conscience. Aux jambes pour l'avoir fait trébucher ? Mais ses jambes lui appartenaient, ipso facto elle serait devenue la coupable, et si c'était à elle-même qu'il fallait en vouloir, elle préférait pleurer.

Cependant, plus les informations étaient digérées et les sentiments contrôlés, plus elle se trouvait ridicule. C'était la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée et elle pleurait. Sa première réaction aurait dû être de sauter de joie ou du moins pleurer de joie vue que son corps semblait beaucoup tenir à noyer sa peau.

Elle essuya son visage d'un revers de manche. Elle était magique. Elle, Apolyne Roy, elle était magique ! Certes c'était un bouleversement pour sa vie, pour son existence tout entière, mais un bouleversement positif. Pas le genre de changement qui fasait grincer des dents, non, le genre de changement what the fuck qui faisait écarquiller les yeux mais rendait les choses 100 fois meilleures. La compote sur le gâteau sec. Le genre de trucs qui n'arrivaient normalement que dans les films.

Comme à chaque fois que quelque chose lui arrivait la première personne à qui elle avait envie d'en parler c'était Nate. Elle lui racontait absolument tout, même les trucs les plus inutiles rien que pour l'agacer. Mais cette fois, c'était du sérieux et elle était sûr qu'il perdrait son sang froid qui normalement le caractérisait. Elle avait hâte de voir ça. Le grand et imperturbable Nathaniel Mercier qui pour une fois ne serait pas en mesure d'analyser la situation avec logique. Une situation aussi farfelue valait bien un « putain de bordel de merde » de sa part. La dernière fois qu'il avait prononcé cette suite de gros mots, à savoir l'année dernière après un des nombreux plot twists de Shingeki no kyojin, il avait juré qu'elle ne le réentendrait pas de sitôt, à moins de lui annoncer une grossesse -ce qui ne risquait pas d'arriver-. Elle espérait néanmoins que sa révélation serait assez stupéfiante pour qu'il oublie de se contenir. Elle mourait d'envie de le prendre à son propre jeu mais n'avait jamais réussi.

Downfall of the magic railsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant