Néons

134 9 0
                                    

- Ethan, danse avec moi.

Son rire incrédule secoua mon aplomb : j'arborai un air si décidé qu'il contint bien vite son hilarité.

- Que je danse avec toi, fillette ?

J'avançai une main provocatrice vers son verre dont le fond avait été épargné.

Pour ponctuer ma détermination, je l'avalais d'une traite.

Mon regard croisa le sien.

Si bleu, électrique. Confus ?

Il me semblait y lire toute l'ivresse, toute la fougue de la foule moite et environnante.

Ainsi que l'hésitation d'une erreur probablement décisive.

Ces yeux qui n'étaient que mépris me jaugeaient d'une lueur nouvelle.

Je sentais qu'Ethan tentait de mener sa réflexion sur le chemin de la mienne, soucieux de comprendre ma demande soudaine.

Et inespérée ?

La musique l'assourdissait, elle devrait lui être familière, mais il devait s'entendre penser.

Je lui souris, à pleine bouche : à pleine dents.

Penchée vers lui, profitant de ce rare instant de vulnérabilité, je le pressai sans rien dire.

Comme traversée par sa propre insolence, enivrée par l'audace de la nuit, de cette multitude désespérée de corps fiévreux, hurlant de se laisser vivre dans l'impunité d'une chaleur collective, je réitérai :

- Putain, Ethan, danse avec moi.

J'avais presque crié au dessus des basses sonores.

Ah, le turquoise qui me sondait !

Le turquoise dont frémissaient ses iris jusqu'aux miens.

Je ne sentais plus les mains froides et blanches de Béliath sur mon corps, mon cou.

Je ne le regardai même plus, agrippé à cette fille au charme savant.

Ces derniers jours à lui céder ce qui constituait mon essence vitale me parurent inconséquents.

Méprisables, pire : remplaçables.

Peut-être était-ce la peur, une manifestation violente et irrationnelle de mon traumatisme ?

Ou alors cette jalousie insondable, qui sillonnait entre mes veines, et se frayait redoutablement  jusqu'au pas de Béliath.

Je les avais suivi pour retrouver ceux d'Ethan.

Il ne riait plus.

- Je vois que tu n'es pas le genre à te faire du mauvais sang en cas de peine de coeur.

Je redécouvrais alors sa voix.

- Tu n'as qu'à goûter.

Un second rire l'emporta, aussi troublé qu'amer, il ne pouvait pas.

Il se leva soudainement, enfermant mon poignet dans sa main.

J'eus l'impression de déceler une certaine bienveillance dans son sourire que la lumière aveuglante égarait.

Et presque naturellement, il épousa la masse animée des danseurs, et se perdit dans le tourbillon de rythmes lourds dans lequel je m'immisçais gauchement.

Sans la brusquerie que je lui connaissais jusqu'alors, Ethan laissa ses mains courir sur mes épaules, puis atterrir sur mes hanches sans m'attirer à lui.

L'intention était d'unir nos deux énergies musicales, de sauter du même pied, du même regard.

Il me guida, déchaîné.

Il n'avait rien de la sensualité de Béliath, de son élégance bestial.

Le dernier bal d'un condamné à mort : comme si la lune ne se lèverait plus, qu'il trouverait toutes les peines d'un monde à son chevet, éclairées par un soleil dangereux.

Comme si son corps allait être privé de sa mobilité nécessaire, bouillonnante.

Il hurla en ma direction, radieux :

- Même moi je me sens vivant, Ethel, laisse toi prendre, coule aussi ! Vis !

Ses sursauts euphoriques étaient entrecoupés par mon propre enthousiasme.

C'était alors la première fois qu'il m'appelait par mon prénom.

Je ne regardai plus Béliath du coin de l'œil, mais j'espérai sournoisement qu'il nous voit.

Moonlight Lovers - recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant