1er novembre 2021, 5h37, chambre de Maeva à l'auberge

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Je me réveille une énième fois en sachant bien que cette fois-ci sera la dernière et que je n'arriverai pas à me rendormir et je ne suis pas sûre de savoir si c'est le décalage horaire qui en est la cause ou la proposition... Je ne sais même pas comment la qualifié. Cette situation doit être la pire à laquelle j'ai eu à me confronter dans ma vie entière. Bon, j'ai que vingt ans mais je ne pense pas que ça change quelque chose.

Enfin ! Il m'a quand même parlé de prostitution ! Ce n'est pas rien ! Ou alors, j'ai simplement fait le pire cauchemar de ma vie. Mais, au fond de moi, je sais très bien que ce qu'il s'est passé hier soir est bien la réalité. Une horrible réalité, mais la réalité quand même. Le seul point positif dans tout ça, c'est que je sois encore vivante. Et quand j'y repense, c'est vrai qu'il aurait pu, je ne sais pas, me kidnapper ou même me violer et me laisser crever au bord de je ne sais quelle route déserte. Bon, j'avoue, j'abuse. Il n'a pas de voiture. Et j'ai peut-être trop suivi d'affaires en tout genre à la télé.

Non, ce n'est pas possible. J'ai dû mal comprendre. Ça se trouve il voulait juste parler de payer pour lui tenir compagnie. Sortir... Des choses comme ça. Comme la randonnée qu'on a potentiellement parlé de faire demain ou aujourd'hui vu l'heure qu'il est. Je ne sais même pas comment réagir face à un truc pareil. Ça me paraît juste surréaliste.

Et puis, je repense simplement à la décision qu'il m'a demandé de prendre et à laquelle je n'ai pas eu la moindre envie d'envisager. Un million de dollars. A peu près, sept cent mille euros. C'est quelque chose quand même... Serais-je capable, moi, Maeva, de vendre mon corps, même une fois pour ce prix ? Bien sûr, je serais capable de voyager pendant plusieurs années sans trop me soucier de combien je dépense. Ou alors, investir dans des locations et gagner de l'argent plus facilement. Et peut-être même préserver la nature en voyageant différemment. Tous ces rêves que j'ai en tête depuis des années du haut de mes vingt ans.

Par hasard, on a déjà essayé d'acheter mes pieds. Cinq petites minutes en appel vidéo. Finalement, ça s'est surtout fini en soirée fou rire avec mes copines et en arnaque de mon côté. Je n'ai jamais reçu l'argent. Apparemment, c'est un marché florissant. Je ne suis pas sûre que cette courte expérience soit tout à fait la même chose pourtant, le petit sentiment que j'ai pu ressentir après m'en dit long sur ce que je serais prête à faire. Ou pas. Au fond, ne suis-je pas celle qui pense que l'argent ne fait pas le bonheur ? Que les choses les plus importantes dans la vie sont la famille ? Les amis ? Et puis, si on y pense vraiment. Ne serait-ce pas le moyen de faire leur bonheur finalement ?

Les choses dans ma tête s'emmêlent et le débat me paraît aussi compliqué que ma décision.

Après une heure de prise de tête, je me lève avec une tête qui doit être à la hauteur de ma journée d'hier avec la ferme décision d'aller faire un tour et d'essayer d'arrêter de penser à cette histoire. Moi qui pensais qu'en voyageant seule je serai plus tranquille... Je prends une douche rapide, m'habille et je sors prendre l'air frais canadien. Le soleil se réveille tranquillement et je décide de marcher au bord de l'eau du Lac Kootenay, surplombé de ce pont orange et rose, presque banal. L'eau a toujours eu un effet apaisant sur moi. Et puis, de toute façon je crois qu'avec ce voyage, je ne vais pas avoir d'autre choix que de relativiser et de me vider l'esprit de temps en temps je pense.

Lorsque je m'aperçois que mes membres sont frigorifiés, je finis par me diriger vers l'auberge. En chemin, je trouve un restaurant qui sert le petit-déjeuner et la carte me semble assez appétissante pour que je m'y attarde. La serveuse me dirige vers une petite table et je commande des pancakes avec du sirop d'érable et un jus d'orange, un parfait petit-déjeuner de championne.

La serveuse apporte mon plat et alors que je m'apprête à le savourer, la porte d'entrée annonce un nouveau client dans un son aigu et je n'ai tout à coup plus faim du tout. Jager. Comme par hasard, la serveuse passe devant moi en le guidant et mes membres se retrouvent soudainement paralysés. Lorsqu'il me remarque, je n'ose pas prononcer un mot et il dit à la serveuse qu'il me connait et qu'il va s'installer en face de moi. Elle retourne à ses autres clients sans plus de préoccupation et là, j'ai peur. Il s'assoit en face de moi et me semble soudain, extrêmement mal à l'aise.

- I'm sorry. Really sorry. I don't understand how I could have done a thing so stupid. (Je suis désolé. Vraiment désolé. Je ne comprends pas comment j'ai pu faire une chose si stupide) commence-t-il en devenant tout rouge sans me regarder dans les yeux. I hate me since yesterday and I hate what I have done to you. And if you want me to go and just let you alone, I will understand it perfectly (Je me hais depuis hier et je hais ce que je t'ai fait. Et si tu veux que je m'en aille et que je te laisse seule, je le comprendrais totalement.)

Sa voix tremble à la fin et je vois même une larme tomber qu'il essuie rapidement. Tout à coup, je ne sais plus quoi penser. Il a l'air vraiment sincère et le gentil monsieur envahissant m'apparaît à présent comme un homme démuni. Bien sûr que j'ai envie qu'il parte mais ma voix est comme coupée et je suis incapable de sortir le moindre mot. Et en même temps, j'ai besoin de réfléchir à tout ça alors je lui glisse simplement le menu posé sur la table et laisse le silence combler le reste. Il hoche la tête mais ne dit rien de plus. Et c'est ainsi que je me retrouve avec un mal de crâne à tout juste neuf heures du matin. Lorsqu'enfin je retrouve l'usage de ma voix, je lui pose la seule question qui me taraude l'esprit.

- But... why ? (Mais... pourquoi ?) Je dis avec une expression du visage qui doit être à la hauteur de mon incompréhension.

- I don't know... Sometimes, I feel so lonely that I have some horrible thoughts. I know that it's not good and I try to control myself, but it can be really difficult. (Je ne sais pas... Parfois, je me sens tellement seul que j'ai d'horribles pensées. Je sais que ce n'est pas bien et j'essaie de me contrôler mais ça peut être vraiment difficile.)

Le silence reprend son court et je ne sais toujours pas si je peux me sentir en confiance et en sécurité ou même si j'ai envie de prendre le risque. Et puis, même si j'essaie, je resterai quand même très méfiante en sa présence et je ne pense pas avoir besoin de ça.

- I'm really sorry.

Et sans n'avoir rien commandé, il sort rapidement du magasin en sanglotant. Je reste sans réaction mais finalement, je pense que ça m'arrange bien de pas avoir eu à prendre quelconque décision. Soulagée, je finis mes pancakes et essaie de penser à autre chose que Jager qui doit, en revanche, se sentir bien coupable.

Conviction À La DouaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant