Chapitre 1. Haiden et son oncle.

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L'appartement miteux était désormais vide, silencieux et sans danger. Je n'entendais plus que le bruit lointain du voisinage. Des portes claquées, une voiture qui passait en contrebas, une conversation entre deux femmes.

Alors j'en profitai pour m'allonger. Pas dans ma chambre mais sur le vieux canapé taché et défoncé, au cas où il aurait fallu s'en aller très vite. La porte d'entrée écaillée se trouvait juste devant moi. Mon sac à dos était au sol, près de ma tête et prêt à être attrapé.

Je n'enlevai pas ma prothèse de jambe afin de faciliter ma fuite. J'aurais été trop lent. Il aurait fallu enfiler le manchon en silicone jusque sur ma cuisse, avant de mettre l'emboîture sur mesure sous mon genou. Or, n'importe qui pouvait arracher la porte de ses charnières. N'importe qui parmi les fréquentations douteuses et camées de ma défunte tante. Pire, son dernier mec en date possédait un double des clés.

Je m'endormis comme j'en avais l'habitude, avec l'esprit à l'affût et les sens sur le qui-vive. Je me réveillai tout seul, ce qui était un exploit quotidien en ce qui me concernait, avec le mode de vie qui était le mien.

Je me redressai, plus reposé et moins ankylosé que si j'avais dormi par terre. Une autre foutue routine. Je vérifiai les alentours, écoutai et je ne reçus que les mêmes bruits extérieurs anodins. Je me redressai, me levai du canapé et boîtai jusqu'aux WC remplis de tartre. Mon moignon était douloureux, parce que je ne l'avais pas soulagé en ôtant ma prothèse pour dormir. Je pissai, rangeai ma queue, me lavai les mains et les essuyai avec la seule serviette disponible, humide et crasseuse. Je revins dans la pièce principale.

Je devais me rendre à l'évidence. Il fallait que je sorte si je voulais bouffer. Les placards et le frigo étaient vides, une normalité depuis deux ans que je vivais avec ma tante Ellyn. Cela dit, ceux de Kara, ma mère, n'avaient jamais été plus garnis.

Je saisis mon sac à dos, vérifiai mon portefeuille et la présence de mes précieux derniers dix dollars. Je mis les bretelles du sac, et je clopinai jusqu'à la porte que je déverrouillai. Je la claquai, puis je descendis les escaliers avec la démarche spécifique que j'avais depuis mes treize ans, depuis que j'avais une prothèse sous le genou à la place de ma jambe droite.

J'entendis quelqu'un monter. Je fourrai aussitôt la main dans ma poche, prêt à dégainer mon petit couteau pliant. Une silhouette apparut sur le palier d'en dessous.

— Putain, Jake, soupirai-je, soulagé.

— Salut à toi aussi, Haiden.

— Tu savais que j'en profiterais pour pioncer dans l'appartement vide.

— Je t'emmène déjeuner ? éluda l'assistant social.

Jake était un afro-américain quinquagénaire dont la principale mission consistait à essayer de sauver mon cul depuis quelques années.

— Je crois qu'il faut qu'on parle de ta situation, Haiden.

— Je suis majeur, maintenant. Pourquoi tu t'en fais pour moi ? grognai-je.

— Parce que j'ai une conscience, même si tes dix-huit ans te sortent du système.

— J'ai la dalle, éludai-je à mon tour. Tacos ?

— Allons-y pour des tacos.

Nous émergeâmes sous l'écrasant soleil californien de mars à Los Angeles. Je boitillai sur le trottoir. Le diner était à cent mètres à peine, heureusement.

— L'appartement de ta tante doit être rendu la semaine prochaine, Haiden.

— Je sais. Le proprio peut même garder toute la merde à l'intérieur. Je n'y toucherai pas.

Laisse la pluie pleurer à ta place, roman édité, 5 chapitres disponibles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant