Réminiscences.
Maman était sortie avec un mec. J'avais eu droit à des Ramen et des Snickers pour mon dîner, qui me donnaient presque une impression de normalité. Après avoir mangé, j'avais fait mes devoirs, sans réel enthousiasme, mais pour poursuivre cette impression.
Je somnolais dans le canapé quand la clé avait tourné dans la serrure. Pourquoi ma mère rentrait-elle si tôt ? Qu'est-ce qui s'était encore passé, bordel ? Est-ce qu'elle allait me faire payer sa soirée pourrie ?
Je me redressai. La porte s'ouvrit sur un mec barbu et maigre, aux yeux hagards. Merde. Je ne le connaissais pas, celui-là. Il ne venait pas pour brûler mon torse et mon dos en attendant ma mère. Comment était-il entré en possession de ses clés ? Est-ce qu'elle s'était encore endormie bourrée dans un bar crasseux, et il en avait profité pour fouiller son sac à main ?
— Bouge pas sans que je te le dise, siffla-t-il, alors que je tentais de me mettre debout. Où sont la came et le fric ?
— Comme si le deuxième pouvait exister après l'achat de la première, dis-je. Il n'y a rien ici. Même le frigo est vide. Tu peux fouiller, ajoutai-je, le cœur battant de plus en plus fort.
Il accentua son air de cinglé, et sortit de sa ceinture, à l'arrière, un pistolet qu'il braqua sur moi avec des tremblements.
— Tu vas chercher pour moi, gamin, et je vais te regarder. Dépêche-toi !
Je m'exécutai. Ma chance, c'était que l'appartement était minuscule, et qu'il n'y avait pas grand-chose. Je fixai le mec quand tout se retrouva retourné version descente de flics. Il rigola, frustré, et pointa de nouveau son arme sur moi.
— Roulette russe. Mourra, mourra pas ? Tu paries sur quoi, gamin ?
Il tira. Le flingue émit juste un faible clic. Ma vessie se relâcha. Il rit plus fort, secoua son pistolet, et disparut, laissant la porte ouverte. Je tombai au sol, avec mon jean souillé, lourd et puant. L'urine avait coulé sur ma prothèse, constatai-je. Honte, colère et sensation de néant voltigèrent et se mêlèrent en moi.
Pendant des mois, je crus voir partout ce dingue.
*
Ce premier soir chez Lane, je fourrai dans sa machine à laver tout ce que je pouvais et qui sentait mauvais. Pendant qu'elle tournait, je décidai de me décrasser à mon tour. La douche à l'italienne occupait tout le côté gauche de ma salle de bain, en bleu et blanc comme ma chambre. Au milieu de la pièce, une baignoire me faisait de l'œil. Je décidai de m'en servir pour me décontracter après le voyage. Ma jambe commençait à me faire mal.
Je me déshabillai avant de retirer ma prothèse. Elle valait des milliers de dollars. Elle était ce que j'avais de plus précieux et la raison pour laquelle je l'enlevais si peu quand je dormais dans des endroits peu sécurisés. Hors de question qu'on me la vole. Le responsable de l'accident l'avait payée, ou plutôt, son assurance. Sans elle, je n'aurais jamais pu prétendre à quelque chose d'aussi perfectionné et personnalisé.
Je n'avais qu'une seule articulation, la cheville. Un tube en titane remplaçait mon tibia, résistant et léger, avec un pied prothétique en carbone à l'extrémité, et un système de ressort et de pressurisation pour faciliter la marche. Le tube était rattaché à ce qu'on appelait l'emboîture, c'est-à-dire le lien entre mon moignon et le composant prothétique. Elle avait été réalisée sur mesure, après que l'orthoprothésiste ait effectué un moulage de mon moignon.
Mon emboîture était personnalisée. Je l'avais choisie noire avec des flammes grises, très classe. Les gamins de mon âge, treize ans, prenaient plutôt du rouge, comme l'armure de Iron Man. Pas moi. Je ne croyais plus aux super-héros.

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Laisse la pluie pleurer à ta place, roman édité, 5 chapitres disponibles
Roman d'amourLaisse la pluie pleurer à ta place Fortuna Beach T1 Haiden Mills, dix-huit ans, est un survivant. Il n'a connu que les quartiers les plus difficiles de Los Angeles. La violence et l'addiction. Ce qui le maintient encore, c'est dessiner. Encore et en...