C'était un premier mai. Les pétales du cerisier grandissant près de ma fenêtre virevoltaient en une douce danse mélodieuse. Le ciel bleuté reflétait la gaieté d'un village animé, où tous fêtaient ce jour comme ils le feraient un soir de nouvel an. Les enfants criaient, couraient et riaient à gorge déployée tandis que les adultes n'étaient pas bien mieux, s'adonnant à l'ivresse de la joie, ne daignant même pas freiner les bambins qui s'emmêlaient entre les jambes des plus grands. Une grande structure aveugla la foule de tout soleil, passant lentement alors que d'autres apparaissaient derrière, plus grandes, moins épaisses, ou très encombrantes. J'applaudis intérieurement leur détermination ; ce n'était pas que les rues étaient étroites, mais avec leurs créatures de foire, c'était presque s'ils obstruaien le passage.
Lorsque la troisième créature fut passée, la foule revint dans mon champ de vision. Je soupirai presque. Tout était beau, scintillant fièrement sous les coups d'un soleil timide. Pourtant tout semblait si loin. Les montages, les gens, la ville elle-même. Tout ce que je ne pouvais pas toucher autrement qu'avec les yeux. Condamnée à rester cachée des yeux de tous. À m'enfermer constamment et ne sortir qu'une fois le soir tombé. Au fond, ça me plaisait. Même si la solitude me suivait où que j'aille, j'aimais ce temps à pouvoir penser. On ne m'interrompait pas, on ne me reprenait pas sur ce que je crois et pense, c'était seulement moi et ma conscience. Même s'ils avaient l'air si joyeux.
Alors qu'un énième oiseau vint déposer une baie à ma fenêtre ouverte, je décidai que j'avais assez profité de la foule et du jour. Pourtant je ne bougeai pas, toujours assise dans l'encadrure de la fenêtre, redressant simplement un livre. C'était ce qui me faisait m'échapper, la lecture. Là-dedans, il y avait tant d'histoire, tant d'imagination que la mienne s'était mise à concocter des scénarios inimaginables même quand je ne lisais pas. Chaque idée tournoyait en essayant vainement de s'échapper de mon esprit pour se confondre à la réalité. C'était un souhait qui m'était parfois venu à l'esprit ; le désir de façonner le monde à ma façon une nouvelle fois. Pourtant je n'en faisais rien, demeurant cachée sous un masque et des gants, l'un assez fin pour respirer, l'autre trop épais pour les chaleurs estivales. Là où le village voyait la différence, se peignait un tableau plus triste et désordonné : mes pensées. Puisque le monde déteste la différence et l'inconnue de la magie, la place n'était pas sous le regard critique de ceux que j'ai toujours considéré comme mes pairs.
— Ne retire jamais ces gants, avait grondé maman. Si tu le fais, les autres seront méchants avec toi. Et couvre toi le visage, ils ne doivent pas le voir.
C'était un souvenir encré dans mon esprit. Le genre qu'on garde à vie alors que son avertissement court comme une nuée de poussière englobant l'air. J'avais compris ce qu'elle redoutait, pourtant un doute subsistait : me protégeait-elle ou se protégeait-elle ? Le courage ne m'était jamais venu ; celui qui m'aurait donné une réponse. Je ne voulais en aucun cas la mettre à mal, et quoiqu'en fusse la vérité, je ne pouvais pas lui en voir. Elle était née en octobre, sans que l'ombre du soleil ne se fasse apercevoir. Il pleuvait tant que les gouttes battant la fenêtre s'étaient imprimées dans son esprit comme un souvenir perpétuel. Pourtant elle était ordinaire. Mon père lui avait vu le jour en décembre, alors que les flocons de neige ravissaient le ciel. On prétend qu'il avait attiré le soleil qui, jusque là, s'était caché. Il n'était apparu que lorsque mon père pris sa première bouffée d'air. Sur ce plan, ils étaient tous les deux opposés, mes parents. Pourtant, ils restaient ordinaires et se fondaient dans la foule sans qu'aucun commentaire ne soit fait : quand aucune dissemblance n'est faite, on voit nos pairs partout. J'aurais aimé que cela soit ainsi pour moi aussi. Que je n'attire pas tant l'attention, une attention qui au fond, ne m'étant desservie que par des étoiles bleues. À vrai dire, il était difficile de ne pas les voir, mais pourquoi suscitaient-ils autant de commérages ? C'était quelque chose qui me dépassait.
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Le Bleu Des Couleurs
Teen FictionAlors que le printemps tombe sur le sol du village, Fennelis se lasse de la vision constante des murs intérieurs de son chez soi, alors que la vie bat son plein au dehors. Elle n'a qu'une hâte : que le soir tombe et emporte avec lui les préjugés quo...