Arrêt de bus

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J'ai mal au ventre. J'attends une réponse qui ne viendra pas, j'attends le Déluge, l'Apocalypse, j'attends que le monde s'éventre entre mes pieds. J'attends que la terre s'effrite. J'attends que mes os se brisent.

Il fait froid. J'attends près d'un arrêt de bus, sous une pluie battante. Les nuages sont un gris noir comme le vide, comme le néant. J'ai l'âme rouge dans les veines et le coeur violet dans la gorge, coincé comme une pomme d'Adam. J'ai les os en poudre, dans un sachet, que j'agrippe de mes doigts ensablés. La lune pointe son nez triangle depuis un infime ( infirme?) espace entre les volutes de fumée. J'ai froid. Il fait froid. J'attends près d'un arrêt de bus quelqu'un qui ne viendra pas. J'attends la Mort, ma mort, ma mort amoureuse, ma mort mortellement mortelle, ma mort, mort, mort si belle. J'attends mon cadavre ambulant. Je suis le cadavre ambulant. Où est-il?

Il fait froid. J'ai froid. J'attends sous une pluie noire pétrole, j'aimerais pouvoir entrevoir autre chose que ce terroir miroir. J'ai froid. J'attends sous une nuit noire carbone.

Il arrive entre deux voitures grises aux conducteurs grisés. Il est grand, un peu distendu, ses yeux sont gris comme la Seine, scène du spectacle grisâtre de la vie morne des cités. J'ai mal au ventre. Il fait froid. J'attends sous une pluie noire.

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Ses mains se posent sur le creux de ma gorge, là où mon pouls est à son plus fort. Mon coeur bat dur et fort. Martèlement incessant. Amour à mort. Mort subite. Subite mort. Mort. Mort. Mort. Je ne respire plus, je retiens l'air dans mon oesophage alors que ses doigts glissent jusqu'à mes clavicules. Mort délicate, mort écarlate. J'entends sa respiration au creux de mon oreille. Il est grand et son coeur est aussi noir que la pluie dehors, qui bat contre la vitre de sa voiture. Nos respirations se mêlent comme un cortège et je sens mon coeur qui florilège. Je suis un amalgame de mots. Je suis un amalgame de sensations. Je ne fais que ressentir, je ne fais qu'éprouver. Le feu monte en moi, sous le coussin de son toucher. Il ne dit rien, il ne laisse aucun son franchir l'entrave de ses lèvres. Seulement il me touche, avec une douceur déconcertante, alors que le tonnerre éclate. Alors que le monde se brise, se rompt, se détruit, comme une mauvaise blague de Dieu. Pardon, pardon, j'implore le pardon du bout de mes lèvres contre les poussières d'étoiles qui fleurissent sur sa peau, sa peau si dorée qu'elle m'en dore l'estomac. Il fait froid, dehors, pourtant j'ai chaud contre lui, contre son corps-four. Je suis une brioche qu'il se plait à cuire. Ma peau se lève, se soulève, mon coeur brunit et mes lèvres rougissent, comme mon âme qui ne fait que s'empourprer.

Aime moi.

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Il est parti, me laissant sous l'arrêt de bus. Sur ma peau traine encore le feu et les flammes. Bientôt ne restera que cendres. 

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 26, 2022 ⏰

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Enclumes et plumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant