Prologue

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Prologue

Certaines nuits, lorsque nous levons la tête vers le ciel, nous avons l’impression que ce dernier est plus noir que d’habitude. Aucune étoile ne brille et le temps semble suspendu, comme en attente d’un danger dont l’origine semble difficile à prédire. En regardant le ciel cette nuit, j’avais cette impression de déjà-vu. La seule particularité de cette nuit était que la lune était sortie et brillait de mille feux. Elle éclairait le ciel et répandait sa douce lueur sur la terre.
Je regardai autour de moi. Il m’était difficile de dire avec précision où je me trouvais. De hauts arbres s’étendaient à perte de vue. Le sol qui se trouvait sous mes pieds était mouillé, comme s’il y avait eu de la pluie un peu plus tôt. Pourtant les semelles de mes chaussures n’étaient pas humides. J’avais la chair de poule et mon cœur battait très vite. Tous mes sens étaient en alerte maximale. J’étais envahie par la peur sans connaître l’origine initiale. Les arbres bougeaient sous l’effet du vent, prenant des allures spectrales. Tout à coup, j’entendis le bruit d’une feuille morte qui craqua plus loin parce qu’un animal était passé dessus. Le pétrichor qui s’élevait du sol titilla mes narines, me rappelant vaguement une tisane que préparait souvent ma grand-mère Aurora. A un moment donné, un corbeau se mit à croasser. Ce fut comme un signal.
J’entendis des bruits de pas précipités suivis de grognements. Quelques secondes après, un homme déboula d’une clairière et passa près de moi…Si près qu’il me frôla le bras avant de poursuivre sa course effrénée. Il était poursuivi par un animal semblable à un loup. Ils poursuivirent leur course. Comme attirée par un aimant, je me lançai à leur poursuite. Je courrais sans faire attention aux arbres qui se trouvaient sur mon parcours. Par moment, je sentais leurs branches m’écorcher le visage et les bras qui étaient exposés. Cependant, je ne ressentais que brièvement la douleur. Toute mon attention était accaparée par cette course folle au milieu de nulle part.
La course prit brusquement fin au bout de quelques minutes. L’homme qui était pourchassé s’étala de tout son poids sur le sol. Je me rendis compte que nous étions maintenant parvenus sur un terrain boueux. L’homme d’une trentaine d’années environ poussa un cri horrifié. L’une de ses mains avait atterri sur une partie d’un corps humain ayant autrefois appartenu à un être vivant. Il jeta sa trouvaille au loin, se releva rapidement puis glissa de nouveau et se retrouva dans la même position qu’au départ. Il m’était difficile de dire s’il s’agissait d’une main ou d’un pied. En faisant plus attention, je me rendis compte que par endroits, d’autres parties de corps humains émergeaient du sol. Une envie irrésistible de vider mon estomac me prit à la gorge. Le cri de l’homme attira mon attention à nouveau. Il était terrorisé par l’animal et il y avait de quoi ! Il m’était difficile de décrire clairement l’animal. Il ressemblait à un grand chien. Son pelage était noir, tacheté de jaune. Il avait de grosses oreilles bien dressées et sa queue était parfaitement immobile au même niveau que le reste du corps. L’homme au sol essaya de s’éloigner de lui. Il buta contre un arbre qui avait perdu toutes ses feuilles. Une pancarte était accrochée à l’arbre. Il y était écrit :

HIC LOCUS EST UBI MORS GAUDET SUCCURRERE VITAE.

A ma grande surprise, mon cerveau procéda à la traduction : « Voici l’endroit où la mort se réjouit d’enseigner à la vie ».

Je reportai mon regard sur l’homme. La lune éclaira son visage. En une fraction de seconde, ses traits s’imprimèrent dans ma mémoire. Le loup gratta le sol boueux puis chargea. Il bondit en direction de l’homme qui poussa un hurlement de terreur. Comme par magie, je me retrouvai entre l’homme et le loup. Une sorte de mur transparent apparut et empêcha le loup d’approcher sa victime. Les yeux jaunes de l’animal me transpercèrent et je sentis le médaillon que je portais autour du cou me brûler la peau.
— Aaaaaaaahhhh !!!

Je me réveillai en sursaut. Mon cœur battait la chamade et j’étais trempée de sueur. Je m’assis sur mon lit, troublée. Mon rêve avait l’air si réel…c’était comme si j’avais été réellement dans cet endroit bizarre. Je ressentis une douleur cuisante sur la poitrine. Je me levai précipitamment du lit et me précipitai vers la salle de bain. J’allumai la lampe et me plaçai devant la glace. J’ouvris les boutons de ma robe de nuit et fut surprise de voir une coloration rouge à l’endroit où se trouvait le médaillon que je portais autour de mon cou.
— Merde ! fis-je en grimaçant.

C’était comme si le médaillon m’avait brûlée. Mais cela n’avait aucun sens ! Un médaillon ne brûle pas. J’essayai d’ouvrir le fermoir mais après quelques minutes d’acharnement, je m’interrompis. Je sentis l’anxiété me gagner. Qu’est-ce que cela voulait dire à la fin ? Pourquoi est-ce que ce fermoir ne s’ouvrait pas ? Je poussai un juron bien senti qui se bloqua dans ma gorge quand mon regard se posa sur mes membres thoraciques. J’étais tellement accaparée par la brûlure infligée par le médaillon que je n’avais même pas vu les éraflures sur mes bras. Je fus prise de vertiges. Je fermai les yeux. Je pouvais décrire mon rêve dans les moindres détails. Depuis près d’une semaine, je faisais le même rêve toutes les nuits. Tout avait débuté le soir de ma vingt-sixième bougie. Mais c’était la première fois que je me retrouvais en présence de l’inconnu et du loup. C’était également la première fois que je courrais dans les bois. Habituellement, je restais sur place à admirer le ciel jusqu’à ce que le jour se lève dans mon rêve.
Comment est-ce possible que des éraflures faites dans mon rêve se matérialisent dans la réalité ? Pourquoi est-ce que le médaillon de grand-mère m’avait-t-il brûlée ? Pourquoi ne parvenais-je pas à le retirer de mon cou ? Tellement de questions me traversaient l’esprit et me troublaient davantage. Je reportai mon regard sur le miroir. Je m’appelle Isis ZUMA. D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais quitté Pégase. Je suis âgée de vingt-six ans et je suis une orpheline. Je n’ai jamais connu mes parents. D’après ma grand-mère, ils sont morts dans un accident de voiture alors que je n’étais qu’un bébé. Du coup, j’ai été recueillie et élevée par elle. Une vague de tristesse me transperça quand mes pensées se tournèrent vers cette femme au grand cœur qui m’avait élevée. Elle était vraiment adorable. Mais malheureusement, elle avait rendu l’âme hier. La mort l’a rappelée dans le monde des anges. Aurora ZUMA était ma référence dans ce monde. Elle m’avait élevée avec amour. Elle m’avait inculqué des valeurs indispensables à ma survie. Elle savait quand être sévère et quand souffler le chaud.

Une larme m’échappa suivie d’une autre. Aurora me manquait atrocement. J’avais l’impression d’être seule au monde. Aurora ne m’avait jamais parlé d’une famille proche et personne n’était jamais venu nous rendre visite. Mamie avait réussi à mettre sur pied un orphelinat et elle recueillait les enfants qui n’avaient plus de domicile. Elle avait créé sa propre famille. Les gens l’adoraient. Elle avait réussi à transformer la vie de plusieurs personnes et avait acquis à jamais leur respect et amour. La sonnerie de mon réveil me tira de mes pensées. J’abandonnai la contemplation de mon miroir et retournai dans la chambre. Je coupai le réveil. Il sonnait déjà six heures du matin. J’avais juste le temps de m’apprêter avant de me rendre au Cinérarium. J’aurais bien aimé demander une messe à l’église mais Aurora était une athée. Elle ne croyait pas en l’existence de Dieu et ne voulait même pas être inhumée au cimetière. Elle voulait que son corps soit brûlé et ses cendres recueillies. Je n’avais pas compris l’intérêt d’une telle demande. Elle s’est éteinte à l’âge de quatre-vingts ans. Elle souffrait d’une insuffisance rénale associée à des complications. Elle avait été hospitalisée pendant trois semaines. Son état allait de mal en pis. Hier, elle s’était réveillée de bonne humeur. Toute la journée, elle avait été gaie. Nous avions même chanté quelques chansons. Je pensais qu’elle irait mieux et que je pourrais la ramener à la maison. Mais dans la nuit, alors que je somnolais, elle m’avait touché le bras. Malgré moi, je replongeai dans mes pensées.

— ¬Isis…avait-elle murmuré d’une voix faible.

— Oui mamie. Je suis là, avais-je répondu en ouvrant les yeux. Est-ce que tu as besoin de quelque chose ?

— Je ne rentrerai pas à la maison ma fille. Le voyage terrestre s’arrête ici pour moi.

— Non, mamie. Ne dis pas ça…Les docteurs sont confiants. Ils disent que si tu continues à suivre ce traitement, tu seras très vite sur pied.

— Non, Isis avait-t-elle murmuré en s’agrippant fermement à ma main. Je sais ce que je dis ma fille. Mon heure a sonné. J’ai été tellement heureuse d’avoir été ta gardienne sur cette terre. J’aurais voulu vivre plus longtemps afin de t’aider à comprendre ce que tu seras obligée d’affronter désormais.

Ma gardienne ? Ces deux mots m’avaient fait froid dans le dos.
— Je ne comprends pas, mamie. De quoi parles-tu ? Tu devrais te reposer et nous en discuterons le matin.

— Je ne serais plus là, Isis. Ecoute, tu te rappelles que je t’ai toujours dit que tu étais exceptionnelle, n’est-ce-pas ?

— Oui, avais-je fait en hochant la tête.

— Tu comprendras maintenant les raisons pour lesquelles j’étais sévère avec toi.

— Mamie…

— Ne garde pas l’esprit fermé, Isis. Soit ouverte d’esprit en tout temps et en tout lieu. Tu as un grand avenir qui t’attend. Je t’ai protégée de mon mieux. Maintenant, le moment est venu pour toi de protéger d’autres personnes.

— D’accord mamie. Je comprends.

En fait, je n’avais rien compris. Mais je voulais qu’elle se calme et qu’elle se rendorme.
— N’oublie jamais les principes de vie que je t’ai inculqués et suis ton instinct. Sois juste dans la vie et la nature te le revaudra…Toujours.

— Je ne comprends rien, mamie…

— Pas encore mais ça viendra.

— …

— Est-ce que tu me promets de faire ce que je t’ai demandé ?

— Oui mamie. Dors en paix. Je le ferai. Je promets. Croix de bois, croix de fer, si je mens, que j’aille en enfer.

— L’enfer est partout, Isis. A toi de créer ton propre paradis. Toutes les réponses se trouvent en toi. Il te faudra faire preuve de beaucoup de courage mais j’ai confiance en toi. Tu y parviendras.

— Je t’aime, mamie.

— Et moi encore plus mon bébé. Au fait, Isis…

— Oui mamie…

Elle avait fermé les yeux et lâché ma main. Quelques secondes passèrent avant qu’elle ne prononce ces quelques mots qui m’avaient déstabilisée à tout jamais.

— Tu es une custodes. Après ma mort, je voudrais que tu portes mon médaillon. Il t’appartient. Et, je ne veux pas être inhumée dans un cimetière…Brûle mon corps !

— Quoi ? Avais-je crié.

— Respecte mes dernières volontés.

C’étaient ses derniers propos. Ensuite, elle s’était rendormie. Au petit matin, quand je me suis réveillée, Aurora était déjà partie. Elle était morte durant son sommeil, avant le lever du jour. J’avais de la peine à croire que sa mort ne remontait qu’à vingt-quatre heures environ…Elle m’avait prévenu que son temps sur cette terre était parvenu à la fin mais je n’avais pas voulu y croire. Peut-être parce que j’assimilais ses propos au délire d’une personne âgée aux portes de la mort. Mais quand je considérais son médaillon qui m’avait brûlé la peau et mes rêves assez louches, mes éraflures, j’étais tentée d’apporter un minimum de crédit aux propos de mamie. Bien que cela n’ait à proprement parler aucun sens. Je pris mon portable et me rendis sur Google. Je tapai dans la barre de recherche le mot custodes. Plusieurs réponses s’affichèrent. Mais la plupart ramenait à la même signification : Gardienne en latin. Qu’est-ce que cela voulait dire ? De quoi étais-je la gardienne ?
Je posai mon portable et me levais de mon lit. Il fallait que je m’occupe de quelques tâches avant le lever du jour. Inutile de perdre mon temps à essayer de comprendre certaines choses qui semblaient parfaitement illogiques pour le moment. Après avoir exécuté les dernières volontés d’Aurora, j’aurais le temps de repenser à tout ça.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 01, 2022 ⏰

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