Promenade de nuit

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Une histoire, un récit
Promenade de nuit

Auteur : Edie-Denis Mallas


Le port

Je suis sorti ce soir parce que je n'avais rien à faire. Je n'ai pas voulu appeler Jacques. Peut-être pour ne pas l'écouter pendant de longues heures de promenades dans Paris comme nous avions pris l'habitude de le faire. Je n'aurai pas dû venir ce soir. Même lorsque l'on attend quelqu'un, c'est toujours triste le soir. Les rues, le soir, la nuit dans la solitude, c'est triste de toute façon. Je descends du métro à Bastille. Accompagné de claquements de skateboard brusques et douloureux, je me dirige stoïquement vers la droite de la place pour prendre le boulevard Bourbon et longer le port de l'arsenal presque jusqu'à l'écluse qui lui interdit la seine. L'eau du port est noire. Elle reflète pourtant toutes les lumières des boulevards qui la bordent mais tout est si sombre. Les bateaux se balancent très doucement, il faut s'arrêter et les observer pour s'en apercevoir. J'aime longer le port. Il incite à la tranquillité et au calme. Encore un passage piéton et j'atteindrai la seine. Je vais suivre, en longeant les quais au-dessus des berges, le quai henry IV vers le pont de Sully, l'Ile Saint Louis et Notre Dame.

Je pourrais aussi aller contempler les illuminations au croisement de la rue royale et du faubourg saint honoré. Ce sont les plus belles de Paris. Elles évoquent le luxe et une certaine féérie. Cette année ce sont de grosses boules rouges faites de milliers de petites ramifications, comme des boules de gui, suspendues au-dessus des rues à intervalles réguliers. Des boules plus petites sont accrochées aux réverbères et, où elles peuvent lutter, près d'une plaque de rue ou sous un balcon. Parsemées d'innombrables petites lumières, le rouge est lumineux et donne un bel effet de volume et de profondeur. C'est enfantin, mais j'aime ces décorations joyeuses qui bougent doucement dans la nuit et enchantent la rue. Il y a aussi de lourdes et épaisses guirlandes de lumières blanches et dorées qui entourent de frondaisons les devantures des magasins. On dirait qu'une forêt pleine de lumière poussent derrière les façades et les transpercent avant de se consumer dans la rue dans une grande offrande sacrificielle et festive. Je ne peux jamais me détacher de toutes ces lumières. J'aimerai tout étreindre. J'aime ce croisement et regarder les perspectives des deux rues avec ces décorations scintillantes et les feux des voitures dans la nuit. Juste à côté, des touristes, sagement rangés, attendent devant le magasin "La durée", rue royale, pour acheter des macarons. Le kiosque devant la file d'attente laisse peu de place aux promeneurs pour passer et longer le magasin de montres de luxe avec ses deux façades sur chaque rue qui éclairent le croisement. Avant les décorations étaient faites de lampes à filament. Des boules de verres peintes. Ce n'était pas la même poésie, c'était plus simple. Mais Je n'ai pas envie de rêve ce soir. Seulement de marcher dans la nuit.

Le quai

Je n'ai pas envie de lumière non plus ce soir. Seulement des reflets noirs et flottants de la Seine si obscure et attirante. Non, je ne descendrai pas sur les berges. Les pavés des berges sont noirs et luisants et ils me font un peu peur. Ce n'est pas sûr et je ne suis pas non plus si sûr où mes pas me conduiront ce soir. Notre dame se détache, délicatement éclairé, entre la rive gauche et un peu devant l'Ile Saint Louis. On dirait une dentelle maintenant qu'elle a perdu son toit. Une fine dentelle grise et fragile. Lorsque le feu a pris, j'étais sur le quai du train à la station Rosa Parks. Je n'ai pas voulu la voir brûlée et entendre les cris. Je suis rentré. Je ne voulais pas avoir ce souvenir en plus des autres. Il fait froid, même en marchant, on reste glacé ; gelé comme la feuille enrobée de givre, la seule survivante attachée morte sur l'arbre, penchée vers la lumière du réverbère. Deux personnes passent près de moi sur le trottoir et me croisent. Leurs corps se touchent en marchant de trop près pour ne pas être ensemble. Ils ne me regardent pas. J'ai l'impression qu'ils vont quelque part. Silencieux, dans leur pensée ils ne sont pas pressés. Ils marchent vers quelque part. On doit les attendre. Ils passent sous la feuille morte, suspendue et gelée et leurs ombres se fondent ensemble dans la nuit derrière moi. Je peine quelques minutes à essayer de penser à l'avenir en regardant le sol qui ne me renvoie, découragé, que sa lassitude. Je marche plus lentement. Les voitures viennent de face et la chaussée est brillante de reflets. Leurs phares m'éblouissent et me gênent. Je tourne la tête et regarde à nouveau la seine puis l'autre rive. Les caissons verts des boutiquaires sont clos sur les parapets avec de gros cadenas. Des bateaux-mouches montent et descendent le fleuve en éclairant avec de puissant projecteur les berges, les quais et les façades des immeubles. De grandes ombres repus se forment lorsqu'ils passent au-dessus et entre les sombres caissons verts. Soudain de longues langues lumineuses balayent lentement les façades. D'immenses caresses de lumière mélancolique glissent sur moi et une pluie de lumière inonde mes yeux et irradie mon cerveau. Quelque chose d'immersif et de fugace, de très éphémère, m'a transpercé quelques instants et m'a intimement et intensément aimé de lumière. Comme un vol au-dessus de l'eau, la voix qui commente la visite emplit l'atmosphère de profondes et graves vibrations. Elle s'en va doucement avec sensualité et regret. La lumière telle une bougie qui s'éteint l'accompagne et s'éloigne. Puis la nuit et les reflets réapparaissent sur la seine installant un calme poétique et romantique.

Promenade de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant