La montagne en papier

Raisin chaud

Il fait 33° celsius, ressenti beaucoup trop.

Chamonix est accroché à 1035 mètres d'altitude et c'est clairement trop près du soleil.

Chanyeol regrette d'avoir pris ses chaussures de randonnées et ses chaussettes hautes. Sa casquette verte lui crame le crâne, sa sueur coule à grosse goutte dans sa colonne vertébrale et il est convaincu que tout le monde l'a remarqué.

Et tout le monde a aussi sûrement vu le moment où il s'est enfoncé sur ce banc public et a aplatit ses larmes du plat de la main, en silence. Il a reniflé cinq fois, pas plus, ensuite, il s'est calmé.

Tout va bien. Demain, à l'aube, il montera à bord d'un ancien train à crémaillère, qui grimpera à flanc de montagne, jusqu'au pied du Nid d'Aigle. Ensuite, il débutera l'ascension du Mont Blanc. A un moment, chaussé de crampons, dix kilos sur les clavicules, sûrement un peu de crème solaire sur le nez, à un moment, il s'encordera avec son guide. Et un type qu'il ne connaît pas.

Son guide est coréen, bronzé de la marque des montagnes, il a les cheveux comme des châtaignes et des sourires comme des jours d'été en hiver. Il s'appelle Jongdae.

Il y a une heure, quand il l'a vu arriver à sa hauteur, il s'est enthousiasmé de sa venue et lui a tendu la main. Chanyeol, pas bien certain de son geste, a avancé sa main ouverte vers lui. Jongdae a éclaté d'un rire franc, a secoué leurs paumes de haut en bas, " comme font les français ". Il a dit que c'était devenu un réflexe, que ça donnait des airs de diplomates et qu'il adorait ces manières. Il fit une blague, et poussé par l'éclat de rire de Chanyeol, il en tenta une seconde, encore plus drôle.

Chanyeol a oublié les deux blagues, il se souvient juste qu'il y a rigolé.

Et puis, Jongdae lui a présenté Byun Baekhyun, planté à ses côtés, sans bruit. Il avait dans ses paumes de mains un gobelet blanc qui sentait le raisin chaud. C'était un blond couleur des blés, casquette rouges, à baskets, qui hochait la tête au rythme des mots. Il avait un demi-sourir et pas grand chose de plus. Au bout de deux phrases courtes de présentation, Chanyeol a vu une malice fuyante coincée juste au bord de ses cils, quasi rien.

Enfin, un peu empressé, Jongdae a annoncé, l'air mi-grave, mi-gêné, qu'il y avait un petit souci, et de fil en aiguille, en fait, y'a eu un gros souci. D'ici, Chanyeol se souvient s'être arrêté de respirer plus de cinq secondes, le tournis, et puis, ses yeux qui se sont trempés et détrempés, et puis, l'idée qu'il n'irait jamais au sommet et à partir de là, il est juste resté en suspend, entre le goudron et sa casquette en plomb.

Jongdae comblait son silence avec un sourire, parlait beaucoup, divergeait, levait le doigt pour récolter sa tristesse, a tardé à agencer sa pensée.

Chanyeol, de ces digressions, n'en a retenu que l'essentiel : son guide a chopé le covid hier soir, ils n'ont pas pu le remplacer parce que c'est le tout début de saison et que c'est compliqué, qu'en plus Chanyeol n'a jamais fait d'ascension et qu'on peut pas lui mettre n'importe qui, mais que Bakhyun est expérimenté, que c'est donc atout pour la cordée, le blond est joli – ça c'est lui qui l'a pensé en se tournant vers lui -, ils peuvent, s'ils le veulent, et Jongdae l'a dit comme ça, il s'en souvient bien parce qu'il s'est remis à respirer à cet instant :