PROLOGUE

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J'ai compris que je faisais la fameuse crise de la trentaine lorsque je me suis mise à tout lister. Des listes de courses, de choses auxquelles penser, à faire, à arrêter de faire. Le plus évocateur a été de me mettre à lire des centaines de livres de développement personnel, en lire jusqu'à ce qu'ils me sortent tous par les yeux. Me mettre au Yoga, puis arrêter, et pleurer en réalisant que je ne retrouverai jamais le corps de mes vingt ans.

— Un burnout Mademoiselle !

C'est ainsi que le médecin a qualifié mon état légèrement dépressif. « Burnout », ce joli mot à la mode pour éviter le Voldemort de la société. Les dix petites lettres qui signifient que tu es entrée dans les ténèbres et que tu vas ramer pour en sortir. Les dix petites lettres de la dépression. Face à mon silence et yeux interrogateurs et désespérés, il a précisé :

— Vous avez un trop plein mademoiselle !

Confuse, je l'ai regardé́ et lui ai dit :

— Un trop plein ? Mais un trop plein de quoi ?

Le médecin qui avait terminé son osculation, m'a fait signe de me rhabiller tout en retournant s'assoir derrière son bureau. Je me suis rassise et ai commencé à reboutonner mon chemisier. Voyant qu'il ne m'avait pas répondu, j'ai poursuivi ma réflexion.

— C'est vrai que je suis un peu fatiguée en ce moment. Pourtant je ne travaille que 39h par semaine...Bon c'est vrai qu'en réalité j'en travaille bien 45. J'ai pas mal de route à faire mais j'ai une voiture c'est confortable! Bon d'accord je fais 120km par jour et avec les bouchons, il est vrai que mes journées sont assez longues... Heureusement que je suis bien payée... Alors oui c'est vrai que l'argent ne coule pas à flot, mais pour le moment cela me convient, nous ne sommes que deux et nous n'avons pas d'enfant à nourrir, là ce serait plus compliqué...

Le médecin qui était en train de rédiger mon ordonnance sans sourciller, a relevé les yeux par-dessus ses lunettes sans bouger la tête, et a marmonné un simple « hm..» pour signifier qu'il attendait que je développe. Il voulait en savoir plus, alors j'ai haussé les épaules et continué en grimaçant quelque chose qui était supposé ressembler à un sourire. — Bah oui ça coûte cher un enfant ! Et puis pourquoi je suis aussi fatiguée et angoissée, ce n'est pas comme si j'avais les soucis d'un enfant. Enfin vous comprenez quand on est parents on dort mal, d'un sommeil entrecoupé. Moi je n'ai pas d'enfant qui me réveille la nuit, pas d'enfant à m'occuper ni à nourrir. Je n'ai pas d'enfant vous comprenez ? »

Les larmes ont commencé à monter et je n'ai pas pu les retenir ou les expliquer. Jamais je n'avais imaginé que mon désir d'enfant était tapi dans un recoin de mon être. « Je n'ai pas d'enfant ! » Cette dernière phrase a raisonné dans la salle d'examen.

A la fin de ma diatribe, le médecin a marqué un temps. Tout à coup nous étions trois dans son cabinet. Lui, moi, et ma souffrance. Les yeux mouillés j'ai regardé́ le médecin avant de ravaler mes larmes. Le silence a fait écho de mon malaise. Elle était là la cause de ma dépression. J'osais à peine la toucher du doigt. Elle se cristallisait enfin. Le médecin a poursuivi :

— Vous savez Mademoiselle, deux fausses couches en un an ce n'est pas rien, et puis rajoutez à cela les petits tracas du quotidien, et pouf c'est un mélange détonnant !

Il a étouffé un faux rire plein de compassion comme pour dédramatiser. Je suis restée muette, la gorge serrée, une boule m'empêchait de déglutir. Je ne parvenais plus à dire un mot. Je me suis rhabillée, ma souffrance toujours assise à côté de moi. J'ai saisi l'ordonnance de Xanax, avant de partir, ma souffrance sous le bras.

Cette souffrance, c'est le poids du vide qui m'habite. C'est la colère qui ose à peine s'exprimer. C'est mon chagrin qui gronde. Le médecin se trompait, je n'avais pas un trop plein, en fait, j'avais un trop vide. Un vide d'amour. Cette souffrance c'était le manque, une absence, le silence. Une absence qui fait du bruit. Un sacré raffut.

Je me rappelle à quel point j'avais hâte d'avoir trente ans, de les fêter sur un roof top à New York, je m'imaginais juchée sur des talons de douze cm, savourant ma coupe de champagne sans en être écœurée.

Au lieu de ça, je me retrouve à faire un travail que je déteste, dans une relation amoureuse toxique, à devoir faire face à un fléau encore plus grave. Celui de voir chacune de mes amies tomber enceinte les unes après les autres, les voir exhiber leur ventre avec fierté́ , vivant leur plus belle histoire d'amour en s'inscrivant dans leur vie d'adulte, de parents, de gens heureux.

Combien de fois ai-je eu la sensation de ne pas savoir faire ? Ce sentiment d'injustice, en touchant mon ventre et en le sentant vide. Combien de fois ai-je pleuré en tirant un trait symbolique sur tout ce que j'avais imaginé avoir à trente ans. Une maison, une carrière toute tracée, un passeport bien rempli, un amoureux et une famille. Mes plans, je les avais bien définis, bien dorloter, mis à l'abris dans une jolie boite.

Et puis, il y'a ce mec que j'ai choisi il y a trois ans et qui a mis un coup de pied dedans. Ce sale type que j'ai si souvent essayé d'aimer. Celui avec qui j'ai forcé mon âme à vouloir s'unir. Celui avec qui j'essayais d'oublier le départ de mon père. Celui avec qui je m'étais dit : « Tu as bientôt trente ans, tu n'as plus le temps d'attendre ... »


AmourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant